Premiers pas dans le roman policier historique à Paris

Le jeudi 1er juin 2006.
Ce texte ouvre un ensemble d’articles que www.terresdecrivains.com a déjà commencé à mettre en ligne sur le thème du roman policier historique à Paris. N’hésitez pas à y rajouter votre grain de sel en bas de page :-) !

Avant de nous plonger dans les rues de Paris, faisons brièvement l’histoire de l’enquête policière, du roman historique, du roman policier et du roman policier historique.

Le crime est de tous les temps, mais l’enquête policière en France naît entre le XIe et le XIVe siècles, avec notamment l’apparition des prévôts au XIe siècle, l’institution en 1190 des baillis par Philippe Auguste, personnages dotés comme les prévôts de compétences judiciaires et policières, la naissance vers 1300-1320 d’un corps de commissaires-enquêteurs dans la capitale et la création en 1321 de la charge de lieutenant civil à Paris et de celle de lieutenant criminel en 1337. Le premier gère la police de la ville, le second traite les affaires pénales. Il sera remplacé en 1667 par un lieutenant général de police, personnage que nous rencontrerons dans nos articles [1].

Si l’on connaît des chroniques ou des nouvelles galantes historiques antérieures au XIXe siècle, c’est dans les années 1820 que l’on voit les premiers romans et drames historiques apparaître en France, en pleine apothéose du romantisme et dans le sillon des œuvres de Walter Scott qui, elles, datent des années 1810-1820. Alfred de Vigny en est le précurseur avec Cinq-Mars en 1826. Puis Ludovic Vitet et Prosper Mérimée, les deux premiers inspecteurs généraux des Monuments historiques, publient l’un Les Barricades (1826), Les États de Blois ou la mort de M. de Guise (1827) et La Mort de Henri III (mai 1829), l’autre la Chronique du règne de Charles IX en février 1829. Dumas fait également jouer Henri III et sa cour ce même mois. L’Histoire est alors à la mode, puisque 130 volumes sur l’histoire de France édités par Petitot paraissent entre 1819 et 1829.

Quant au roman policier, on s’accorde à dire qu’il a vu le jour au milieu du XIXe siècle avec Gaboriau et son premier succès, L’Affaire Lerouge, publiée en feuilleton en 1863. Avant lui, il y a bien sûr eu d’autres romans mettant en scène un meurtre et un meurtrier face aux forces de l’ordre. Mais nul avant lui n’avait, dans un roman, démonté aussi savamment les mécanismes de l’enquête policière en remontant le temps depuis la découverte du crime jusqu’à l’acte, et même jusqu’à l’histoire de la victime et du meurtrier.
Certains romans antérieurs exploitent ce procédé de remonter dans le temps pour élucider un mystère ou un crime : Une Ténébreuse affaire (1841) de Balzac (ou encore sa nouvelle Maître Cornélius), Le Comte de Monte-Cristo (1845), Catherine Blum (1853) et Les Mohicans de Paris (1854) de Dumas. Mais jamais avec autant de méthode que dans L’Affaire Lerouge, qui ouvre la voie à une véritable école.
Edgar Poe, procédant ainsi, a inventé quelque temps plus tôt la nouvelle policière avec ses trois oeuvres parisiennes : Double assassinat dans la rue Morgue (1841 - décidément, année fertile !), La Lettre volée (1845) et Le Mystère Marie Roget (1850). Il a lu les Mémoires de Vidocq (1828) et s’est inspiré du chef de la Sûreté pour construire son Dupin.
Quant à Wilkie Collins : a-t-il écrit un roman policier avec sa Femme en blanc en 1860 ? Est-il un précurseur avant même Gaboriau ? Les spécialistes en débattent encore…

Le roman policier historique va quant à lui chercher dans le passé son cadre, son intrigue et ses personnages, autant dans les périodes les plus reculées (Moyen-âge et même antiquité) que dans l’Ancien régime ou l’époque contemporaine.
Sa vogue aussi récente qu’impressionnante remonte aux années 1950, avec la première saga historico-policière : celle du juge Ty, écrite par Robert Van Gulik, et surtout aux années 1980, avec l’énorme succès du Nom de la rose (1980) d’Umberto Eco et l’apparition d’auteurs qui - tel Alexis Lecaye - commencent à faire revivre ce premier âge du roman policier, le XIXe siècle, avec par exemple Marx et Sherlock Holmes (1981), découvrant un filon qui alimente encore aujourd’hui une partie des polars historiques : la résurrection des Sherlock Holmes, Arsène Lupin, chevalier Dupin et consorts.

Nous avons choisi dans les articles qui suivent de nous limiter à ceux dont l’action se situe à une période réellement antérieure à celle de l’auteur, se déroule sans va et vient entre le passé et une époque ultérieure et ne fait pas intervenir de la science-fiction.
Ne vous attendez donc pas à croiser ici les héros de Gaboriau, Gaston Leroux ou Maurice Leblanc [2], auteurs, certes, de belles séries policières, mais qui ne sont historiques que pour nous, lecteurs du début du XXIe siècle.

Notre second critère exclut aussi des récits dont le héros vit de nos jours et enquête dans le passé. Cela nous garantit autant que possible que l’investigateur va mettre en œuvre des techniques propres à son époque, ce qui est à nos yeux un grand attrait du roman policier historique.
Nous mettrons ainsi de côté un bon nombre de best-sellers récents, mais aussi - et avec plus de regrets - les romans d’Arturo Perez-Reverte, La Ligne pourpre de Wolfram Fleischhauer, des romans d’Anne Dukthas et de Ian Pears…

Notre troisième critère nous fait également écarter des romans où se mêlent histoire et science-fiction. Johan Héliot, par exemple, a écrit dans le genre steampunk des récits qui ont pour cadre le Paris du XIXe siècle.


Patientons encore quelques instants avant de nous lancer dans les rues de Paris, et essayons d’identifier quelques points communs des ouvrages que nous avons choisis.

Si ces romans, dans l’ensemble, se rattachent à des faits et à des personnages historiques réels (et donnent au lecteur, par la même occasion, l’envie d’approfondir sa connaissance du passé), le traitement que les auteurs réservent à la "grande" Histoire est varié.

Pour Yves Jégo, Denis Lépée et quelques autres, le passé semble être un cadre exotique comme un autre pour des aventures qui pourraient se dérouler aussi bien à une autre période et ailleurs.

Certains - comme Claude Izner ou Georges Jean Arnaud - usent de la topographie, des événements, de l’architecture, de l’art et des sciences d’époques révolues comme ressorts principaux de leurs récits, et transmettent au lecteur leur fascination pour la période qu’ils ont choisie.

Pour Jean d’Aillon, Jean-François Parot, Frédéric H. Fajardie et d’autres encore, il semble que l’ambition soit aussi de comprendre l’Ancien régime et le XIXe siècle (peut-être pour mieux lire notre présent ?). Avec ces auteurs, le parler, la vie quotidienne, les relations sociales et politiques sont l’objet d’un grand intérêt qu’ils font partager au lecteur.
Cette plongée en profondeur dans une époque s’opère de deux façons.
Tout d’abord par le genre choisi : l’enquête policière est bien sûr un excellent moyen pour aller au contact d’une société et des individus qui la composent, pour pénétrer leur vie intime, leurs valeurs, leurs croyances, leurs secrets d’État, les tensions économiques, sociales et politiques qui les conditionnent.
Ensuite, ces auteurs font vieillir leurs héros au fil de la série ou même du roman. Ancrer leur récit dans la durée leur permet de suivre l’évolution de la société dans laquelle vivent leurs personnages, et de leur donner ainsi une autre épaisseur. D’en faire des héros, certes, mais qui grandissent dans un environnement psychologique, familial, professionnel et social changeant. Bref, d’en faire des êtres humains auxquels le lecteur peut, s’il le désire, d’autant plus s’identifier.

Qu’ils considèrent le passé comme un moment particulier de la condition humaine, comme un objet mystérieux et fascinant ou comme un simple décor, tous les auteurs de ces ouvrages sont attachés à la précision des dates. Cette règle du jeu est le gage de la crédibilité de leur récit, car le lecteur demande à "y croire" un minimum.
Plusieurs vont même jusqu’à débuter chaque chapitre par un jour différent.
Même précision et fidélité quant aux lieux [3]. C’est pourquoi les romans policiers historiques se prêtent si bien à des balades. Et il est curieux d’observer que certains lieux assurent une même fonction à travers les âges. C’est le cas, bien sûr, pour des bâtiments symboliques comme le Grand Châtelet, port d’attache d’un Louis Fronsac comme d’un Nicolas Le Floch (ses origines remontent aux X-XIIe siècles et il est détruit au début des années 1800), mais aussi du jardin des Tuileries, lieu de repli et de réflexion pour Nicolas Le Floch comme pour Victor Legris, un bon siècle plus tard.

Bien sûr, cette précision des dates et des lieux peut aller à l’encontre de la vérité historique. Nombreux sont alors les auteurs qui s’en tirent avec la même pirouette et le même clin d’œil au lecteur : ce sont eux qui ont raison. Oui, Louis XIII est bien mort empoisonné (La Conjuration des Importants) ; oui, c’est une bande d’aventuriers (Les Foulards rouges) qui a aidé Louis XIV et Mazarin à vaincre la Fronde [4] ; etc. Mais cela est trop invraisemblable ou trop contraire aux intérêts du pouvoir pour avoir été écrit ou même connu par les historiens ! Bien trouvé…


Terminons par quelques points communs concernant cette fois les héros.
De même que leur créateur est rarement historien de métier, ils sont rarement policiers de vocation ou de profession [5]. C’est plutôt le hasard, la pression des événements et l’intérêt pour le mystère, la justice ou l’aventure qui les poussent à se faire enquêteurs.

L’enquête qu’ils mènent sur les traces des malfaiteurs les conduit parfois à retrouver des traces de leur propre passé. Est-ce un hasard si plusieurs héros ont perdu tôt ou n’ont pas connu leur père (Gabriel de Pontbriand dans 1661, Nicolas Le Floch, Nissac dans Les Foulards rouges, Victor Legris…) et en croisent l’ombre dans leurs aventures ?

Autre point commun : plusieurs de nos héros sont en avance sur leur temps ! Les théories militaires novatrices de Nissac renversent le cours de batailles ; Louis Fronsac et Nicolas le Floch se lavent tous les jours bien que l’eau ne soit pas vraiment courante à l’époque et que l’hygiène d’alors préconise plutôt de ne pas trop frotter le corps ; tous deux ont des pensées visionnaires sur ce que pourrait être la salubrité et la sécurité des rues de Paris ; Nissac est pour l’égalité entre hommes et femmes et défend des opinions politiques révolutionnaires, comme le commissaire Bourdeau, collègue de Nicolas, et sans doute Nicolas lui-même, etc.

Nous aurons enfin la surprise de souvent croiser des écrivains dans ces récits policiers : Molière, La Fontaine, Perrault, Restif de la Bretonne, George Sand, Théophile Gautier, Gérard de Nerval, Anatole France, Jules Verne, André Breton, Antonin Artaud, etc., non seulement en chair et en os, mais aussi dans des attitudes pas toujours conformes à l’image que l’histoire littéraire nous a laissée d’eux !

À suivre…

[1] Histoire et dictionnaire de la police du Moyen-Age à nos jours. Editions Robert Laffont, collection Bouquins. 2005.

[2] Sauf lorsqu’ils revivent sous la plume d’Alexis Lecaye, Michel Zink, etc.

[3] Nous n’avons guère relevé qu’Anne Perry pour faire des erreurs dans une topographie parisienne qui n’était pas encore celle d’aujourd’hui.

[4] «  […] l’histoire ne doit rien savoir de leur existence. Le royaume de France n’a pu dépendre d’une poignée de barons et de galériens commandés par l’héritier d’une des plus vieilles familles de la noblesse » (Les Foulards rouges, Livre de poche n°15346, p. 372).

[5] Les frères Roquebère, héros de Georges-Jean Arnaud, sont avocats ; Nicolas le Floch, héros de Parot, est à l’origine clerc de notaire - tout comme Louis Fronsac, le personnage de Jean d’Aillon - avant d’être nommé commissaire de police au Châtelet ; Gabriel de Pontbriand (dans 1661) est apprenti comédien ; le comte de Nissac (Les Foulards rouges) et Quentin Margont (La Mémoire des flammes) sont officiers dans l’armée ; Victor Legris, héros de Claude Izner, est libraire ; Jules Verne est devinez quoi, etc.



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