Balade dans le Paris de 1661

Le lundi 3 avril 2006.

Les périodes de succession sont des moments bénis pour les intrigues politiques. La succession qui sert d’arrière-plan aux événements décrits dans 1661, de Denis Lépée et Yves Jégo, est celle du cardinal Mazarin, Premier ministre du jeune Louis XIV qui se meurt après trente ans de règne officieux.
Louis XIV, à la fois effrayé et attiré par la perspective de régner sans "parrain", affirmera bientôt son pouvoir en supprimant la fonction de Premier ministre et en mettant à l’écart sa mère, Anne d’Autriche.

Deux factions s’affrontent : celle de Colbert, dauphin de Mazarin, dont Charles Perrault - l’auteur de Contes - dirige la police personnelle, et celle de Nicolas Fouquet, surintendant des finances depuis 1653, qui partage son temps entre la surveillance des derniers aménagements de son château de Vaux-le-Vicomte et la recherche d’une sacoche de documents codés volée à Mazarin (dont un qui doit permettre à Colbert et à sa confrérie secrète de révéler un secret qui devrait mettre fin à la monarchie [1]).
Fouquet et ses alliés - dont François d’Orbay, son architecte, gendre de Le Vau - tentent de rallier à leur parti Paul de Gondi, cardinal de Retz, pour l’heure exilé à Rome depuis son exil après l’échec de la révolte de la Fronde de 1648.

1661 est aussi l’année où Molière installe sa troupe dans la salle de spectacle du palais du cardinal. Et c’est justement l’abandon par un voleur en fuite de la précieuse sacoche dans le trou du souffleur qui démarre le récit.

1661 est enfin l’année où la charmante Louise de la Vallière entre comme demoiselle d’honneur auprès d’Henriette d’Angleterre, dite Madame, première épouse de Monsieur, frère du roi. Louise devient bientôt maîtresse de Louis XIV (marié en 1660 avec Marie-Thérèse d’Espagne).

Parcourons les rues de la capitale et ses alentours sur les traces des personnages de 1661.

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A droite du Palais-Royal, l’ancien théâtre.

- le palais Mazarin de l’époque est notre Palais Royal d’aujourd’hui, que Richelieu a fait construire en achetant en 1624 l’ancien hôtel d’Angennes. Au début du roman, un incendie s’y déclare dans les appartements de Mazarin, qui masque en réalité le vol de précieux documents.
- le théâtre du Palais-Royal disparaît dans un incendie en 1763. Une plaque en garde aujourd’hui le souvenir sur la façade du Palais Royal, à l’angle de la rue Saint-Honoré et de la rue de Valois.
Molière y installe en 1661 sa troupe dénommée Théâtre de Monsieur car elle dépend du frère du roi… et officieusement de Fouquet.
- Gabriel de Pontbriand, 20 ans, grand brun aux yeux verts, est le tout récent secrétaire de Molière [2] et le beau héros du roman. Il en est également le principal personnage de fiction, pratiquement tous les autres ayant réellement existé. Il demeure rue des Lions Saint-Paul, dans une chambre sous les toits, où il a la joie de recevoir son amie d’enfance, Louise de la Vallière. Le document codé qui lui tombe littéralement entre les mains l’intrigue fortement car il y reconnaît la signature de son père, disparu depuis quinze ans. Molière lui-même a vécu dans les années 1640 rue des Jardins Saint-Paul, sans doute à l’emplacement du n°6.
- le palais du Louvre, où Mazarin a ses appartements et Colbert son bureau,
- le château de Vincennes, où le roi demeure avant la construction du château de Versailles. Mazarin s’y retire pour mourir, le 9 mars 1661. Les parisiens n’ont pas d’amour particulier pour Mazarin, mais ils savent qu’ils lui doivent la paix dans le pays.
- le château de Vaux-le-Vicomte, palais de Fouquet où l’on voit souvent La Fontaine. La grande fête qu’il donne en août 1661 met un terme à son pouvoir.
- le pavillon de chasse de Versailles (le château n’est pas encore construit !), où le roi retrouve discrètement Louise de la Vallière. Il aime aussi chasser dans le parc en compagnie entre autres de… d’Artagnan.
- Saint-Mandé, où Fouquet a sa propriété familiale depuis le milieu des années 1650 au lieu dit de l’Epinette. Il souhaitait se rapprocher du château de Vincennes où Mazarin passait l’été. Sa bibliothèque contient près de 30 000 volumes. Il possède de nombreuses oeuvres d’art et ses jardins sont magnifiques. Le domaine est ensuite occupé par les religieuses Hospitalières de Gentilly qui y installent un hôpital. Les terrains sont réaménagés après la Révolution.

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L’emplacement du couvent des Feuillants, 235 rue Saint-Honoré.

- l’église des Feuillants, rue Saint-Honoré, où Colbert et Louise de la Vallière assistent à une messe de Bossuet lorsque Perrault vient tirer l’intendant de ses pensées,
- un hôtel au porche majestueux, à l’angle de la rue Saint-Merry et de la rue Saint-Martin. C’est la demeure d’Everhard Jabach, riche commerçant et prêteur devenu le premier collectionneur d’art de Paris, courtisé par Fouquet comme par Colbert,
- l’église Saint-Roch, où une messe est dite le 5 mars 1661 pour le salut de Mazarin. Gabriel y assiste. Il est attendu à la sortie par des hommes de main de Colbert.
- le salon de Melle de Scudéry, rue de Beauce. Elle est proche de Fouquet. On y assiste dans le roman à une discussion entre Blaise Pascal et Molière sur la succession de Mazarin. Pascal y révèle des inclinations démocratiques.
- le palais de la Conciergerie, quai de l’Horloge, où un membre de la confrérie de Fouquet est torturé sans succès par la police de Charles Perrault,
- rue de la Verrerie, où habite François d’Orbay,
- le palais de la Cité, où se déroule après le décès de Mazarin la prestation de serment de Colbert comme intendant des finances.

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Le donjon du château de Vincennes.

- Mont-Louis est la folie Régnault, propriété des jésuites située à l’emplacement de l’actuelle chapelle du cimetière du Père Lachaise. C’est le lieu de retrouvailles des conspirateurs qui ont dévalisé et incendié le palais Mazarin. Colbert les y surprend un jour et leur propose alliance et protection.
Il y rencontre plus tard Paul de Gondi dans les appartements du père de La Chaise, futur confesseur du roi. Gondi confirme alors à Colbert l’existence de documents secrets que conservait Mazarin et que Gondi a découverte par la bouche de Naüm, un membre déloyal de la confrérie de Fouquet.

A voir aussi : www.polarhistorique.com, le blog sur le roman policier historique.

[1] Hélas, rien de bien original à cela, vous le verrez, de même que l’on peut reprocher au style des auteurs bien des facilités, du genre, au moment fatidique : « Soudain, son pied dérapant sur un barreau plus glissant, Gabriel manqua tomber et rétablit de justesse son équilibre » (p. 436, édition Pocket n°12944).

[2] Qui, du début à la fin du roman, passe d’un rôle terne à un rôle insipide, se ralliant à Colbert.



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