Le Cabaret de Paul Niquet

26 rue Aux Fers
Le jeudi 5 janvier 2006.
La rue aux Fers, aujourd’hui la rue Berger, commençait à la rue Saint-Denis, n°89, finissait aux rues de la Lingerie et à la rue du Marché-aux-Poirées n°2.
Elle n’avait pas de numéro impair, ce côté étant bordé par l’ancien cimetière devenu le marché des Innocents. Le dernier numéro pair était le 50.

Au Tord Boyaux

Par Bernard Vassor

Ce repaire de malfaiteurs, de vagabonds de mendiants était le réceptacle de toute la pègre du quartier des Halles. Le tenancier était un certain Etienne Salle, voyou et indicateur de police comme il se doit. Une allée ayant accès sur la rue aux Fers, étroite et mal éclairée, conduisait à l’intérieur d’une immense salle rectangulaire, garnie de tables scellées dans le sol, et tout autour des cabinets de quatre, huit ou dix consommateurs. Trois cents personnes environ fréquentaient chaque soir ce lieu de perdition. C’étaient des hommes à l’œil sanguinaire, des femmes perdues, couvertes de guenilles, cherchant à exciter, par la licence de leurs regards, l’attention des personnes à côté d’elles. Tout ce monde chantait buvait, mangeait, chantait, criait se querellait et s’injuriait.
Devenu une curiosité parisienne, le cabaret de Paul Niquet attirait une foule de gens comme il faut. Le patron avait aménagé deux ou trois cabinets pourvus d’épais rideaux, de manière que l’on puisse assister à l’abri au spectacle de la lie de Paris.

L’ami de Baudelaire, le roi de la bohème parisienne, Privat d’Anglemont, donne dans ses Oiseaux de Nuit le récit suivant :

« On pénétrait dans l’établissement par une allée étroite, longue et humide.
Son pavé était le même que celui de la rue, un grès de Fontainebleau, mais tellement piétiné par les nombreux clients, qu’il était plus boueux plus fatigué que les pavés de la rue Saint-Martin ou Saint-Denis.
Ceux des habitués qui avaient des hottes (les chiffonniers), les déposaient le long de ces murs avant de pénétrer dans la salle principale…
Cette salle était simplement un hangar sur lequel on avait posé un vitrage.

Elle était meublée de deux comptoirs en étain où se débitait cette eau-de-vie terrible qu’on appelait « le casse poitrine ».
Ces comptoirs lourds et massifs étaient chargés de brocs, de bouteilles et de fioles de touts formes. On voyait écrit sur certaines : « Parfait Amour », la « liqueur des Braves », il y avait aussi « les délices des Dames », un breuvage à faire prendre feu avec une allumette aux lèvres des consommatrices, et surtout « Le Petit Lait d’Henri IV » un effroyable mélange de cassis et de trois-six.

Par un passage étroit, on arrivait à une petite salle derrière le comptoir ; C’était le salon de conversation, un lieu d’asile réservé uniquement aux initiés. _Trois longues tables et des bancs de bois en composaient le mobilier, les murs étaient blanchis à la chaux. L’architecture de ce bouge était bossue, tordue, renfrognée.
Dès la porte passée, on était saisi à la gorge par une odeur fade, chaude, nauséabonde, imprégné de miasmes humides qui soulevaient le cœur, c’était une puanteur qui est particulière à cette société immonde »…

Privat d’Anglemont, ce natif de l’île Sainte-Rose, fils de riches exploitants, recevait une pension mensuelle de ses parents. Il s’empressait de la liquider en trois ou quatre jours en beuveries et franches-lippées avec ses amis, parmi lesquels se trouvait Baudelaire. Celui-ci lui fit don de plusieurs poésies que Privat vendit sous son nom au Corsaire-Satan. Ces pièces furent même publiées, en édition originale donc dans le Paris-Inconnu de 1855. Baudelaire les réintègrera dans les Fleurs en 1857 sans commentaire.



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