Balade littéraire pendant les révolutions de 1848 (1)

De la rue de l’Isly à la rue des Bourdonnais
Le samedi 19 novembre 2005.

Cette balade nous fait découvrir les adresses de certains acteurs politico-littéraires des deux révolutions de 1848, ainsi que les sièges de nombreux journaux nés sous la monarchie de Juillet ou en 1848.

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La Madeleine.

1) Le 5 rue de l’Isly est l’adresse des Hugo de juillet à octobre 1848. Ils ont quitté leur appartement du 6 place des Vosges pendant les journées de juin.

2) Devenu riche grâce à un oncle qui a eu la bonne idée de décéder, Frédéric emménage dans un hôtel rue de Rumfort (L’Éducation sentimentale). Cette rue s’étendait entre les rues Lavoisier et Laborde et a été absorbée par le boulevard Malesherbes et la place Saint-Augustin.

3) Toujours dans L’Éducation sentimentale, les Dambreuse habitent rue d’Anjou. Riche financier conservateur, M. Dambreuse se met - après la révolution - à apprécier les républicains et même un peu les socialistes, sait-on jamais…

4) Le matin du 22 février, une foule se rassemble donc devant l’église de la Madeleine, dans le froid et la pluie. Le banquet républicain prévu mais interdit par le pouvoir doit se tenir dans l’ancienne abbaye des Cordelières (devenu hôpital Broca), 54 rue Pascal. De la Madeleine, la foule se dirige vers la Chambre des députés.

5) Le ministère des Affaires étrangères, où réside Guizot, occupe entre 1820 et 1853 un hôtel à l’angle du boulevard des Capucines et de l’avenue de l’Opéra (panonceau). Des manifestants s’y rassemblent le soir du 23 février, pour montrer leur joie de voir Guizot démis de ses fonctions de chef de gouvernement. Alors qu’un calme relatif est revenu depuis les échauffourées de la veille, la garde ouvre le feu et tue quelques dizaines de personnes. Le lendemain, la monarchie n’existe plus.

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Le restaurant Véfour.

6) Louis Napoléon Bonaparte s’installe à l’hôtel du Rhin, 4 place Vendôme, fin septembre 1848. C’est son retour définitif d’exil.
Chassé de France à la fin du Premier Empire, puis opposant à Louis-Philippe, Louis Napoléon Bonaparte est coutumier des tentatives de coup d’État et y gagne bon gré mal gré une certaine image de héros… napoléonien. Il passe le début des années 1840 emprisonné au fort de Ham, dans la Somme, avant de s’enfuir en Angleterre en 1846, déguisé avec les habits de l’ouvrier Badinguet (sobriquet qu’il gardera jusqu’à sa mort). Il s’installe à Paris, rue du Sentier, le 27 février 1848, se mettant à la disposition de la nouvelle République, qui refuse poliment sa proposition. Retour à Londres. Il est élu député en juin, alors que les bonapartistes sont soupçonnés de vouloir attenter à la République (déjà !…). Malgré l’opposition de Lamartine et de Ledru-Rollin, et avec le soutien de Louis Blanc, Hugo et Jules Favre, l’élection de Louis Napoléon est validée. Mais, ne se sentant que toléré, il se refuse à siéger à l’Assemblée et démissionne. À nouveau élu en septembre (devant Cavaignac, son opposant principal), il emménage place Vendôme.

7) Cavaignac, chef du Gouvernement et vainqueur des insurgés de juin, demeure non loin, 17 rue du Helder. Alexandre Martin, dit l’ouvrier Albert, habite dans la même rue, au n°9. Il est, avec Louis Blanc, la caution populaire (provisoire) du gouvernement provisoire de février.

8) Le 4 décembre 1851, sous les yeux de Frédéric, Dussardier se fait tuer devant Tortoni, 22 boulevard des Italiens, par Sénécal, devenu agent de police (L’Éducation sentimentale). Déporté à Belle-Isle après les émeutes de juin 1848, ce dernier s’est ainsi finalement rallié au pouvoir. Dussardier avait, au nom de la République, combattu les insurgés de juin, avant de s’en repentir en réalisant que le nouveau pouvoir républicain avait promis un tas de choses qu’on avait pas tenues. Il meurt le 4 au cri de Vive la République !

9) Alors que les affaires et les relations conjugales se détériorent sérieusement, Arnoux invite sa femme à dîner à la Maison d’Or - ou Maison Dorée (café Hardi jusqu’en 1839 ; située 20 boulevard des Italiens, à l’angle avec les rues Laffitte et Le Peletier). Il pense lui faire plaisir, mais ce restaurant, tout comme le Café anglais en face, est plutôt le genre de lieu où les bourgeois mènent leurs « lorettes » comme Rosanette. Mme Arnoux en est bien consciente et n’apprécie pas la maladresse de son mari (L’Éducation sentimentale).
La Maison Dorée et le Café anglais sont également fréquentés par la Nana de Zola et la Marguerite Gautier de La Dame aux camélias. En 1853-54, Dumas a un logement et les bureaux de son journal Le Mousquetaire dans une aile de la cour de la Maison d’Or.
On peut admirer aujourd’hui encore la belle façade qui a donné son nom au bâtiment.

10) En 1848, Le National a ses bureaux au 3 rue Le Peletier, que le boulevard Haussmann a fait disparaître. Fondé par Laffitte et Thiers, il est un des phares de la presse d’opposition durant la monarchie de Juillet, avec La Presse de Girardin et La Réforme de Ledru-Rollin et Louis Blanc (d’ailleurs ex-collaborateur du National à partir de 1834). Les responsables du National et de La Réforme se partagent les postes du gouvernement provisoire de février 1848.

11) Frédéric échoue au Café anglais, 13 boulevard des Italiens, pour se consoler d’une rencontre décevante avec Marie Arnoux alors qu’il était tout feu tout flamme d’avoir hérité de son oncle. C’est aussi au Café anglais que se rendent Frédéric, Rosanette et Hussonnet après avoir assisté aux courses sur le Champ de Mars (L’Éducation sentimentale).

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12 rue Coquillière.

12) Au début du roman, les Arnoux habitent 24 bis rue de Choiseul. À quoi cela ressemblait-il à l’époque ? Le Crédit Lyonnais occupe maintenant les lieux, et ce, depuis qu’en 1875 il a acheté le terrain de l’Hôtel de Boufflers.

13) Le 1 rue de Gramont est la seconde demeure de Karl Marx pendant la révolution de 1848, après le 10 rue Commines. Il aurait la surprise d’y voir aujourd’hui un immeuble construit en 1999 pour la Compagnie Transcontinentale de Réassurance.

14) Le Messager, 55 rue Sainte-Anne, est dans les années 1840 un journal favorable à Adolphe Thiers, et donc un soutien du pouvoir.

15) Frédéric invite Charles Deslauriers chez Véfour (17-19 rue de Beaujolais ou 80 galerie de Beaujolais) pour fêter son héritage. Deslauriers, son ami d’enfance, l’a rejoint à Paris. Étudiant pauvre, républicain par vengeance plutôt que par idéal, aigri, il est ambitieux, mais sans la volonté de son camarade Sénécal, né pour commander quelque le soit le régime. Notons que depuis le 31 décembre 1836 à minuit, lorsque les jeux de hasard ont été interdits dans Paris, l’intérêt du public s’est déplacé du Palais-Royal vers les Grands boulevards.
Peu de temps après ce dîner chez Véfour, Frédéric accompagne Jacques Arnoux faire des emplettes 7 galerie Montpensier.

16) Le journal L’Organisateur du travail (socialiste) est basé 3 rue du Coq-Héron en 1848, de même que La République, à laquelle contribuent Pierre Leroux et Agricol Perdiguier.

17) La vraie République, 12 ter rue Coquillière, publie 104 numéros entre mars et août 1848. Le journal lancé par Pierre Leroux, George Sand et Armand Barbès et dont le slogan est Sans la réforme sociale, il n’y a point de vraie république, est suspendu par Cavaignac suite aux journées de juin.

18) Le Populaire, journal socialiste des années 1840, est alors basé 18 rue Jean-Jacques Rousseau.

19) La Voix des femmes a ses bureaux 29 rue des Bons-Enfants (la rue se prolongeait alors plus loin qu’aujourd’hui). 46 numéros sont publiés entre mars et juin 1848. Le journal a de quoi revendiquer : le suffrage universel gagné en 1848… ne concerne que les hommes. La Voix des femmes appelle le 6 avril George Sand à se porter candidate aux élections. L’intéressée décline l’invitation dans La Réforme et La Vraie République et explique que la société n’est pas prête à accueillir des femmes députées, qu’un changement plus radical est pour cela nécessaire et qu’en l’état actuel, une ou deux femmes à l’Assemblée ne changeront rien à la situation de la masse des femmes pauvres et privées d’éducation et de droits (dont le droit de divorcer).

20) Lorsque le château des Tuileries (à situer aujourd’hui entre l’Arc du Carrousel et le jardin des Tuileries, à la hauteur du Pont Royal) est envahi par les insurgés le 24 juin, un spectateur en profite pour subtiliser des draperies du trône et des cahiers d’écoliers des jeunes princes : Honoré de Balzac (qui habite alors 14 rue Fortunée, devenue rue Balzac) ! Le fétichisme l’emporte sur l’amour de la royauté.
Balzac se présente aux élections d’avril - il obtient une vingtaine de voix. Les yeux malades, tentant de se renflouer en écrivant pour le Théâtre historique de Dumas une pièce - La Marâtre - qui sera un succès vite interrompu par les événements de juin, anticipant un avenir sombre au pays, il veut quitter la France.
Il est à Saché pendant les journées de juin. En septembre, il repart pour plusieurs mois en Russie auprès de Madame Hanska.

21) Entre 1837 et 1853, l’adresse parisienne d’Alphonse de Lamartine est le 82 rue de l’Université (plaque). Il est acclamé à son balcon par le peuple parisien après son discours du 24 février 1848.

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La Maison Dorée.

22) Le "phalanstérien" Victor Considérant, disciple de Fourier, demeure en 1848 dans l’immeuble qui fait l’angle du quai Voltaire (n°29) et de la rue de Beaune (n°2). Il est député entre avril 1848 et juin 1849, alors qu’il tente de lancer une insurrection populaire avec Ledru-Rollin. Il s’exile aux États-Unis en 1852, décidé à poursuivre des expériences de phalanstères qui échoueront comme les premières.

23) Le 26 rue Jacob est l’adresse de Jacques Alexandre Bixio, membre du gouvernement provisoire en 1848.

24) Entre 1840 et 1848, Sainte-Beuve est conservateur de la Bibliothèque Mazarine située dans les bâtiments de l’Institut, 23 quai Conti. Les journées de février l’inquiètent, et l’écrasement des républicains après juin ne le rassure pas tout à fait (il ne sera tranquille qu’après le coup d’Etat du 2 décembre). Pour plus de sûreté, il part enseigner à Liège en 1849.

25) Enfin, au 11 rue des Bourdonnais se trouvent le Bureau de Ledru-Rollin et le siège du journal La Réforme.

Sources :
base de données du Paris révolutionnaire de Philippe Boisseau.
L’Éducation sentimentale. Gustave Flaubert.
Les Voix de la liberté. Michel Winock.
CHARLE (Christophe). Le Siècle de la presse (1830-1939). Paris, Seuil, 2004.



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