Comme l’écrit Pierre Lepape dans Le pays de la littérature, Emile de Girardin est un personnage balzacien : parti de rien, ambitieux, respectueux du pouvoir en place [1], faisant fortune dans la presse (milieu abondamment décrit dans Les Illusions perdues et Splendeurs et misères des courtisanes), prêt à en découdre physiquement - il tue en duel, le 22 juillet 1836, Armand Carrel, fondateur avec Adolphe Thiers du journal d’opposition Le National [2] (et se promet dès lors de ne plus combattre que par la plume), échouant parfois douloureusement…
Pour faire Rastignac, Rubempré et le banquier Nucingen, Balzac prend des morceaux de Girardin.
Il arrive au bon moment : libérée de l’Ancien régime, la bourgeoisie a soif d’information et d’histoires. Libérée de la censure impériale - un seul journal était autorisé par département - la presse doit encore lutter pour exister, mais c’est le grand combat des Chateaubriand, Lamartine et consorts sous la Restauration.
Avec Charles Lautour Mézeray, un condisciple du collège d’Argentan, Girardin fonde en 1828 un journal au nom bien choisi : Le Voleur, puisqu’il se compose d’articles pillés dans d’autres journaux. Six mois plus tard, avec le bénéfice, il crée La Mode, qui s’enorgueillit bientôt de signatures prestigieuses : Balzac, Nodier, Lamartine, Sue, etc., et, pour les illustrations, Valmont et Tony Johannot. Sa fréquentation du salon de Sophie Gay [3] lui permet de rencontrer les écrivains romantiques et Delphine, la femme qu’il épouse en 1830.
Ses projets continuent : après La Mode, Le Garde national, le Journal des connaissances utiles, Le Musée des familles en 1833. Les grands tirages et la publicité font baisser le prix des abonnements. Il réconcilie l’écrivain et le journaliste en introduisant la littérature dans les journaux, d’abord y intégrant des « livraisons » de romans, puis en inventant le roman-feuilleton quotidien avec Balzac et sa Vieille fille [4]. Surtout, Girardin met en scène ses entreprises dans ses journaux, pour augmenter sa connivence avec le lecteur. Ses colonnes abondent d’articles sur les rivalités avec les autres journaux qui, peu à peu, meurent ou alignent leurs prix et leur fonctionnement sur ceux de Girardin.
Emile naît en 1806 4 rue Chabanais à Paris, sous le nom d’Emile Delamothe. Il est le petit-fils du marquis de Girardin, qui a accueilli Jean-Jacques Rousseau en 1778 à Ermenonville. Emile a été conçu hors mariage. Abandonné par ses parents, il est élevé dans une institution parisienne, qu’il quitte en 1814 pour dix années d’apprentissage aux Haras du Pin, en Normandie. Il étudie au collège d’Argentan et découvre les livres dans la riche bibliothèque du château du Bourg-Saint-Léonard.
A 18 ans, il revient à Paris à la recherche de ses parents. Son père lui ouvre sa porte, sa mère non. Emile se rend régulièrement à Chätenay-Malabry, rue Chateaubriand où, dans une petite maison blanche située côté impair face à la rue Anatole-France, son père lui remet une pension mensuelle (le château de celui-ci n’existe plus). En 1827, se réappropriant son nom, il signe Emile de Girardin son premier roman… Emile, en partie autobiographique et bien dans le goût romantique de l’époque.
Il s’établit 28 avenue des Champs-Elysées. En 1829, il est nommé inspecteur adjoint des Beaux-Arts.
Il vit avec sa femme 11 rue Saint-Georges et, surtout, dans l’hôtel de Choiseul-Gouffier qui s’élevait entre la rue Quentin-Bauchart et la rue Lincoln, que les Girardin occupent jusqu’à 1855. Depuis 1840, le pouvoir est au conservateur Guizot, auquel s’oppose Girardin. Après la révolution de juin 1848, ce dernier est emprisonné quelques jours à la Conciergerie.
Le coup d’état du 2 décembre 1851 chasse les Girardin jusqu’à Bruxelles, aux côtés de Victor Hugo. Quatre mois plus tard, ils sont de retour à Paris.
Delphine décède en 1855, de même que le père d’Emile. En 1857, Girardin se remarie et se fait construire un hôtel rue La Pérouse.
En 1860, il achète trois châteaux voisins à Enghien-les-Bains, dont il est conseiller municipal de 1865 à 1870. Il est ainsi voisin de son amie la princesse Mathilde à Saint-Gratien. Les châteaux sont encore debouts aujourd’hui : le « château écossais » (revendu un an plus tard), le « château d’Enghien » qu’il habite et le « château Léon » qu’il consacre aux réceptions. Ces deux derniers se trouvent aujourd’hui au milieu de la cour du lycée Gustave Monod.
En 1862, il réintègre La Presse, qu’il avait vendue en 1855. Il acquiert La Liberté en 1868, Le Petit journal en 1872, Le Moniteur universel…
Il achète en 1834 la propriété « le verger » à Bourganeuf dans la Creuse, juste avant d’être élu député du département.
Il posséda également le château d’Agnetz, près de Clermont dans l’Oise.
À voir aux alentours
Présences littéraires aux alentours :
Jean-Jacques Rousseau à Montmorency,
Paul Eluard à Eaubonne,
Eugène Sue à Bouqueval et Saint-Brice-sous-Forêt,
Edith Wharton à Saint-Brice-sous-Forêt,
Les Goncourt, Dumas, Gautier, etc. chez la Princesse Mathilde à Saint-Gratien,
Carco à L’Isle-Adam,
Balzac à Presles et L’Isle-Adam,
Georges Duhamel à La Naze (Valmondois),
Bernardin de Saint-Pierre à Eragny,
Victor HUGO,
Benjamin Constant à Hérivaux (Luzarches) .
Petite bibliographie
1836, l’an I de l’ère médiatique. Analyse littéraire et historique de La Presse de Girardin chez Nouveau Monde éditions.
Les "châteaux" enghiennois. Article de Gwendoline Marqueze dans le magazine Reflets n°19, décembre 1998.
Catalogue de la belle exposition qui s’est tenue du 10 janvier au 10 avril 2004 au centre culturel François Villon à Enghien-les-Bains.
[1] Il est régulièrement député dans les années 1830. Parmi les idées qu’il promeut à la Chambre ou dans ses journaux : l’assurance vie, la participation des employés au bénéfice, la journée de huit heures, l’impôt sur le capital, l’égalité civile de la femme…
[2] Carrel meurt des blessures reçues lors du duel dans une maison 5 bis avenue Victor-Hugo à Saint-Mandé, près de Vincennes. Il est enterré au cimetière de Saint-Mandé.
[3] Qui habitait 30 rue des Jeûneurs avec ses parents.
[4] Le roman paraît en douze articles dans La Presse, entre le 23 octobre et le 4 novembre 1836. Devant les réactions scandalisées de ses lecteurs, Girardin préfèrera par la suite commander ses feuilletons à des auteurs dont la morale paraît plus sure : Soulié, Scribe et Alexandre Dumas.