Montmartre de réalité et de fiction sous l’Occupation

Le mardi 8 mars 2005.

Le Paris occupé est un cadre romanesque de choix. L’époque se prête aux situations et équipées tragiques et/ou héroïques pour plusieurs écrivains, et aux aventures cocasses pour Marcel Aymé ou Roger Vailland (le verbe coucher est très présent dans Drôle de jeu). Balade autour de et à Montmartre vers 1940-1944, sur les pas de ces deux auteurs et de leurs personnages.

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À gauche, le 11 rue des Abbesses

Dans Le Chemin des écoliers de Marcel Aymé, le gérant immobilier Michaud a son bureau quelque part rue de Maubeuge. Sur un ton très sarcastique, Aymé propose à travers ce roman une vision de la vie quotidienne sous l’Occupation où les petits intérêts prédominent.

Dans La Traversée de Paris, nouvelle du même auteur tirée du recueil Le Vin de Paris, nous retrouvons les deux héros Martin et Grandgil [1] qui, au bout de leur périple, parviennent à Montmartre. Ils sont chargés par un commerçant du marché noir de porter, de nuit, un cochon de cent kilos au boucher Marchandot.
Une alerte aérienne les pousse à se cacher dans l’appartement de Grandgil, avenue Trudaine. Là, une dispute éclate, Martin comprenant que Grandgil a simulé son comportement extravagant, le mettant constamment en danger. Martin effectuera seul la livraison à Marchandot.

Depuis la rue Caulaincourt, Martin repart par le carrefour de la rue des Abbesses et de la rue de Ravignan puis la place Pigalle, avant d’être arrêté par la police et accusé du meurtre de Grandgil.

Dans Drôle de jeu de Roger Vailland, après avoir dîné dans un restaurant du boulevard de Clichy, le héros Marat « sort » son chef Caracalla dans un bar de nuit dont l’ouverture est tolérée par la police, rue Pigalle.

De son appartement (voir ci-dessous), Marat assiste avec Rodrigue à un bombardement allié sur Paris. Tous les habitants de la butte Montmartre (sauf eux) s’engouffrent dans la station de métro Abbesses pour se mettre à l’abri. C’est justement 11 rue des Abbesses que Roger Vailland se lance vraiment dans l’écriture du Grand jeu en mars 1944 (il situe son récit à la même époque).

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4 rue Girardon

Son rôle dans la Résistance l’amène en effet à séjourner souvent dans la capitale, hôtel Goudeau (place Émile Goudeau) et rue des Abbesses. Lors d’une mission au domicile de Daniel Cordier, un agent de la Résistance, il découvre un exemplaire de Lucien Leuwen, se plonge dans sa lecture et se lance aussitôt dans l’écriture du Grand jeu. Le "grand jeu" est celui de la Résistance, et celui du passage du journalisme à la "vraie" littérature

Dans Le Chemin des écoliers, le domicile de Michaud se trouve rue Berthe.

Dans Drôle de jeu, Marat loue rue Lepic un appartement qui sert aussi de planque à des résistants de passage.

Sa camarade Chloé habite non loin un appartement que Vailland situe avenue Junot mais qui se trouve, comme il le précise, en-dessous de Louis-Ferdinand Céline, c’est-à-dire 4 rue Girardon. Comme dans Le Grand jeu, Céline avait effectivement des voisins résistants à l’étage inférieur.

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Le passe-muraille surgit d’un mur, place Marcel Aymé

Cette incursion de la réalité dans la fiction nous permet de signaler la présence sous l’Occupation de Marcel Aymé au 26 rue Norvins (maintenant 2 place Marcel Aymé).

Il continue de publier pendant l’Occupation. Ce n’est pas son voisin et ami Céline qui va l’en dissuader ! La Belle image en 1941, Travelingue en 1942, Le Passe-muraille en 1943, et des feuilletons ou articles dans La Chronique de Paris, Je suis partout, La Gerbe. Toutefois, Aymé ne fait jamais la louange de l’occupant, de Vichy ou de l’antisémitisme
Vous m’offrez de me payer plus cher que Je suis partout. Si vous lisiez les contes que je donne à J.s.p., vous y découvririez plein de choses révoltantes pour la conscience d’un Français, et vous vous doutez bien qu’elles me sont payées à prix d’or. Certains de nos amis m’ont fait savoir qu’on me règlerait mon compte comme vous savez à l’arrivée des Américains, ce qui fait que la morale est sauve (Marcel Aymé, lettre à Jean Paulhan, 1943).

À la même époque, l’artiste Eugène Paul, ami d’Aymé et illustrateur de Céline, vit entre 1917 et sa mort en 1975 dans son atelier qui existe encore 2 impasse Girardon.

Dernier membre du quatuor, l’acteur Robert Le Vigan demeurait 11 rue Simon Dereure, près de l’allée des Brouillards.

Les amateurs de Marcel Aymé et de l’architecture des années vingt et trente peuvent se rendre au 9 rue du square Carpeaux. Au passage, ils remarqueront au croisement de la rue Lamarck et de la rue Damrémont la plaque qui orne le 53 rue Damrémont et signale la naissance d’André Malraux en 1901.
Revenons à Marcel Aymé, qui occupe le 8e étage du 9 rue du square Carpeaux en 1930, dans un immeuble flambant neuf, puisqu’il a été construit en 1929.

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L’atelier de Gen Paul, impasse Girardon

Petite bibliographie
Drôle de jeu. Roger Vailland. Livre de poche n°640-641.
Le Vin de Paris. Marcel Aymé. Folio n°1515.
Le Chemin des écoliers. Livre de poche n°1621.
Les Écrivains de Montmartre. Le promeneur des lettres. Association Lire et partir,
Article Comment sauver Céline de Pierre Lepape dans Le Monde des livres, 11 mai 2001,
Lettres d’une vie, Marcel Aymé, Les Belles Lettres/Archimbaud.

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9 rue du square Carpeaux

[1] Immortalisés à l’écran par Bourvil et Jean Gabin.



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