Louis DUCHESNE

à Saint-Servan et Saint-Malo
Le dimanche 20 mars 2005.

Le 13 septembre 1843, Louis Marie Olivier Duchesne naît à Saint-Servan, place de la Roulais, dans une famille de marins et de corsaires originaire de Binic, petit dernier d‘une fratrie de cinq enfants. Fils d’Anne-Marie Gourlay et de Jacques Duchesne, un capitaine terreneuva qui disparaît en mer en 1849 à bord de « l’euphémie », l’enfance du jeune Louis est marquée par la piété simple des fervents marins d’alors et par les drames de la mer, notamment plusieurs naufrages au large de la Tour Solidor.
L’un d’eux inspirera sa vocation au jeune garçon. Un jour, alors qu’il est en mer avec son père, il le voit dans l’obligation de donner les derniers sacrements à un vieux marin qui pensait passer de vie à trépas… et qui se ressaisit, aussitôt arrivé à la cale Solidor, le malaise passé ! Par ailleurs, le jeune Louis s’avère téméraire, ayant l’habitude de se rendre à Cézembre à la rame ! Un jour, lui et ses jeunes neveux Miniac s’aventurent en mer, naviguant jusqu’aux inquiétants parages des Minquiers, à bord d’une petite barque, au désespoir de sa famille qui ne les revoit pas venir deux jours durant !

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Remarqué par deux abbés, le jeune écolier de Saint-Servan échappe à son destin de marin, au bonheur de sa mère. Après des études un brin turbulentes au petit séminaire de Saint-Meen, où son irrévérence s’affirme, et au collège Saint-Charles de Saint-Brieuc, le brillant jeune homme poursuit ses classes au "Collège romain", avant d’être ordonné prêtre en 1867, mettant ainsi un point final à sa longue hésitation entre la théologie et les mathématiques. Un jour, alors qu’il prêche dans une église de Rothéneuf, une des paroissiennes vient à mourir juste après son sermon, qui porte justement sur…la mort ! Malicieux, le jeune diacre s’étonnera plus tard de son éloquence… persuasive.
Élève de l’École française d’archéologie de Rome, l’homme de lettres devient rapidement un éminent spécialiste de l’histoire du christianisme, participant en voyageur infatigable à de multiples missions archéologiques en Asie-Mineure, Macédoine, Anatolie et Cilicie, pourfendant méthodiquement au passage des croyances enracinées. Si son enseignement à l’Ecole des Hautes Etudes lui vaut une réputation internationale et s’il devient directeur d’études pour l’archéologie chrétienne dans cette école romaine, le fidèle Louis revient cependant se ressourcer en pays gallo deux mois chaque été , dans son "ermitage" de Saint-Servan, un ancien corps de garde sur cette Cité d’Aleth qui domine la Rance. Attaché à son "Clos-Poulet", Louis y rejoint sa vieille mère, sa sœur Anne-Marie Miniac et ses quatre fils, capitaines au Long-Cours. Il aimait à y retrouver cette simplicité de rapports du milieu maritime, à présider sa "société d’histoire et d’archéologie", à y cultiver sa petite vigne, à dire la messe du matin à la chapelle Saint-Pierre, à tirer quelques brasses dans l’anse Saint-Père, encore sexagénaire, en sportif endurant et à écrire en la féline compagnie d’une petite chatte noire dénommée "Démonette".

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Le buste de Louis Duchesne, à coté du Cunnigham’s, Bas-sablons.

Le 26 mai 1910, l’érudit Louis Duchesne est reçu à l’Académie Française, après les malouins Trublet, Maupertuis et Chateaubriand. Le "bénédictin moderne" est appuyé par Pierre Loti et Paul Bourget notamment, au terme d’une lutte contre cette droite extrême qui lui préfère un autre candidat, Baudrillart. L’œuvre de pourfendeur de légendes, étranger à ses propres intérêts matériels, lui ayant valu jadis d’être menacé de pendaison à Toulouse, son élection l’autorise à déclarer que "dans le midi, il n’y a de bien pendu que les langues".
En 1912, paraissent les trois volumes de son "Histoire ancienne de l’ Eglise", fruit de décennies de recherches. Mais le modernisme de l’œuvre - attisé par le parti déçu de son élection à l’Académie - heurte la hiérarchie catholique, le pape finissant par faire mettre cet ouvrage à l’index ! Quel scandale, quelle épreuve aussi pour Mgr Duchesne, tiraillé entre son objectivité d’historien et sa charge ecclésiale ! Aussi, Louis Duchesne, homme de fidélité, se soumet. "Fidelis" est sa devise il est vrai.
"Je serre les perroquets et j’entends déjà la voix qui commandera : mouille !". Le 21 avril 1922, la mort surprend ce "chêne tourmenté" au palais Farnèse, alors qu’il y dirige depuis vingt-sept ans l’Ecole française. Son œuvre est saluée par la grande presse internationale, notamment par le Times qui rend un hommage à ce docteur honoris causa de Cambridge. Le "Renan malouin" repose désormais dans le charmant petit cimetière du Rosais, face à cette Rance émeraude qu’il chérissait tant.

Par la suite, en 1973, le pape Paul VI rétablit l’honneur du "sulfureux Monseigneur". En 1988, Brigitte Waché lui consacre une thèse de doctorat d’état. Aujourd’hui, divers éléments - une toile au musée de Saint-Malo, le nom d’une école et d’une place malouine, une buste en bronze face aux Bas-Sablons, une plaque sur sa maison natale, une rue à Rennes - perpétuent la mémoire de cet "éminent servannais" aux yeux des malouins. Clin d’œil irrévérencieux pour cet écrivain qui affirmait "Malouins, vos ancêtres ont été des lions, ne devenez pas des veaux !".

Oeuvres de Louis Duchesne disponibles aux éditions De Boccart, Paris : Liber Pontificalis ; Fastes épiscopaux de l’Ancienne Gaule ; Histoire ancienne de l’Église.

Jean-François Miniac.



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