Gertrude STEIN à Paris

Le dimanche 2 novembre 2003.
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27 rue de Fleurus

Miss Stein fait la leçon. C’est le titre du second chapitre de Paris est une fête, d’Ernest Hemingway. Il résume bien (un peu trop, même, mais c’est du Hemingway [1]) ce qui reste aujourd’hui de Gertrude Stein : l’image d’une muse-mécène-maître à penser qui, à partir de son arrivée à Paris en 1903, chaperonnera des artistes comme Picasso et des écrivains comme Hemingway.

Tout fraîchement arrivés à Paris, Hadley et Ernest Hemingway se rendent pour la première fois chez elle le 8 mars 1922, sur le conseil de Sherwood Anderson.

Elle-même écrit, mais avec un style tout à elle que les éditeurs, les revues et le public apprécient modérément [2]. Alors qu’elle poursuit l’écriture de son grand oeuvre (Américains d’Amérique [3]), ses "élèves" parviennent à être édités avant elle…

Si elle peut accueillir tout un monde chaque jour à partir de 17 heures, c’est que, contrairement à ses compatriotes installés à Paris, elle habite (avec son amie Alice Toklas, peu avenante pour les Hemingway) un bel appartement au 27 rue de Fleurus. Hem le compare à une salle de musée, avec en plus un poêle et de quoi boire et manger.

Alors qu’il habite avec Hadley 74 rue du Cardinal Lemoine, il la visite à plusieurs reprises [4] pour y découvrir de nouveaux livres ou rencontrer d’autres écrivains, et surtout pour parler avec elle [5]. "Miss Stein" a de drôles de goûts. Pour elle, Aldous Huxley écrit comme un "cadavre", et D. H. Lawrence comme un "malade". En fait, elle sait effectivement mieux donner des conseils que des encouragements, et commencera par critiquer durement les premiers écrits d’Hem qui, débutant mais déterminé, ne suivra heureusement pas toutes ses critiques.
C’est lors d’une de ces rencontres que Gertrude Stein invente l’expression "génération perdue" en parlant de la génération d’Hemingway et Fitzgerald [6], qui, selon elle, a vu son éducation sacrifiée par la première guerre mondiale.

- Née en 1874 en Pennsylvanie, Gertrude s’essaie à 22 ans à l’écriture automatique, puis à la traduction de Flaubert. Parmi les thèses qu’elle développe, en les faisant évoluer avec le temps, est celle que la pensée est plus une relation qu’une entité, et qu’il faut privilégier dans le récit le temps présent par rapport au passé et au futur.
Par ailleurs, elle prône que l’écrivain ne doit pas se relire, car les phrases justes sont celles qui sortent du premier jet.
Son goût pour la répétition, pour l’addition et la déclinaison des mots, des phrases et des idées, rappelle le style de Péguy.
Ce goût pour la répétition se trouve à l’opposé du style de Flaubert ou de celui d’Hemingway, lui-même disciple de Flaubert et de Stein. Mais pour tous les trois, le but est le même : parvenir à un texte parfait, d’où l’auteur se retire pour laisser la place au lecteur [7]
- En 1903, elle rejoint à Londres son frère Leo, collectionneur d’art. Puis ils migrent à Paris.
- Gertrude Stein et Alice Toklas habitent 27 rue de Fleurus de 1903 à 1938. Avant-guerre, leur salon est beaucoup fréquenté par des artistes. Après-guerre, ces rencontres se font plus rares.
- Elles s’installent en 1938 5 rue Christine (jusqu’à sa mort en 1946 pour Stein et jusqu’au milieu des années 1960 pour Toklas, exceptées les années 1940 à 1944 qu’elles passent en grande partie à Culoz, ayant choisi, bien que juives et de nationalité américaine, de ne pas quitter la France pendant l’Occupation).
Notons qu’au 35 de cette rue, Hadley Hemingway vit avec son fils Bumby en 1926 après sa séparation d’avec Ernest, et avant d’emménager 98 boulevard Blanqui en 1927.
- C’est son Autobiographie d’Alice Toklas qui la fait connaître du grand public.

Autres lieux
Le Paris de Gertrude Stein est celui d’Hemingway, de Fitzgerald, Pound, Ford Madox Ford…

Petite bibliographie
Paris est une fête. Ernest Hemingway. Edition Folio.
Walks in Hemingway’s Paris. Noel Riley Fitch. Editions St-Martin’s Griffin.
Hemingway, the Paris years. Michael Reynolds. Editions W. W. Norton & Company.

[1] qui, redisons-le, est parvenu à se fâcher avec la plupart de celles et ceux qu’il a côtoyés dans sa vie, à l’exception de Sylvia Beach.

[2] Les critiques qui l’avaient rencontrée ou qui avaient vu sa collection de tableaux prenaient ses oeuvres au sérieux, même s’ils n’y comprenaient rien, tant ils étaient enthousiasmés par sa personne et avaient confiance en son jugement.

[3] dont le titre, à lui seul, trahit son goût pour la redondance.

[4] moins régulièrement qu’il ne le dit dans Paris est une fête, car ses nombreux voyages hors de la capitale font qu’il ne la voit que pendant un et demi de ses dix-neuf premiers mois parisiens.

[5] Pour Michael Reynolds, Hemingway, dans son exil parisien, trouvait une mère dans Gertrude Stein - 48 ans en 1922 - comme il trouvait un père dans Ezra Pound.

[6] Hemingway l’invite 27 rue de Fleurus pour la première fois en 1925.

[7] Citons encore Paris est une fête : "Ce qu’il faut, c’est écrire une seule phrase vraie. […] Ainsi, finalement, j’écrivais une phrase vraie et continuais à partir de là."



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