Inquiets de la croissance des agglomérations de l’autre côté de l’enceinte des Fermiers généraux, du développement anarchique de leurs rues et de leurs égouts, inquiets de l’insécurité liée au surpeuplement de ces quartiers périphériques, ils décident d’agrandir Paris jusqu’à l’enceinte fortifiée de Thiers érigée vingt ans plus tôt et de réorganiser la capitale intra-muros. Le plus grand chantier qu’ait connu une ville française s’étend de 1853 à 1870, facilité par un décret du 26 mars 1852 qui autorise l’administration à exproprier un propriétaire privé chaque fois qu’elle le juge utile.
La réorganisation intérieure, ce sera surtout, pour le quartier qui nous intéresse, la construction du boulevard Malesherbes et le nouveau quartier qui va naître autour, dans une joyeuse ambiance de spéculation immobilière.
Ce nouveau XVIIe arrondissement prend rapidement deux visages distincts :
celui de la plaine Monceau, à l’ouest, proie du baron Haussmann et des promoteurs dénoncés par Zola (qui habite alors à l’est), en particulier dans L’Argent et La Curée,
à l’est de la rue de Rome, le quartier des Batignolles, à l’époque encore entre campagne et ville, préféré des poètes et artistes - par amour de la nature, mais surtout des loyers bas et des bons cafés - et qui abrite les premiers impressionnistes.
Les deux balades que nous vous proposons ici permettent de découvrir ces deux faces d’un arrondissement au passé littéraire méconnu, tout en traversant différentes époques, de 1860 environ (et pour cause) jusqu’à nos jours.
A l’est, le quartier des « artistes » (on approche de Montmartre) : Verlaine, Zola, Max Jacob, Eluard, Simenon qui vient de débarquer dans la capitale…
A l’ouest (où migre bientôt Maupassant), les demeures bourgeoises de ceux qui ont réussi : Dumas père et fils, Henri Barbusse… Pour ces deux derniers comme pour Marie Bashkirtseff, le XVIIe est aussi un arrondissement où il fait bon mourir.
Nous aurons aussi la surprise de croiser sur notre route Françoise Sagan, Joseph Kessel, Pierre Loti, Henry Miller, Marcel Pagnol, Patrick Modiano…
1) Au 83 rue Dulong habite Guy de Maupassant en 1882-84. A trente ans, il vit de sa plume. L’appartement ne fait que cinquante mètre carrés. Des tableaux évoquent Etretat et Fécamp, la patrie de son cœur. Il n’a que quelques pas à faire pour atteindre la gare Saint-Lazare et embarquer pour la Normandie. On le retrouvera un peu plus loin dans notre seconde promenade…
2) Un de ses voisins les plus proches est, 150 ans plus tard, Paul Eluard, qui occupe un deux pièces (avec une très belle vue) au 5e étage du 54 rue Legendre entre 1934 et fin 1938. Après avoir quitté Gala, il vient d’épouser Nusch. Il a quarante ans en 1935. Ces années sont pour lui celles de l’engagement antifasciste et de la fidélité persistante au surréalisme.
3) Stéphane Mallarmé vit 87 [1] rue de Rome à partir de 1875.
4) Georges Simenon arrive de Liège à Paris en décembre 1922, à dix-neuf ans. Après une parenthèse au château de Paray-le-Frésil près de Chevagnes, dans la région qui sera bientôt la terre natale du commissaire Maigret : l’Allier, il est de retour dans la capitale en 1924 et loge avec sa femme Tigy dans une chambre de l’hôtel Beauséjour, 42 rue des Dames (la rue des Dames suit une des plus anciennes voies du quartier, qui existait déjà en 1672). Il écrit contes et nouvelles pour différents journaux, entre autres Le Matin.
5) Permettons-nous deux brèves incursions dans le VIIIe arrondissement, de l’autre côté du boulevard des Batignolles. D’abord 29 rue de Moscou, où nous retrouvons Mallarmé fin 1871.
6) Et 18 rue Clapeyron, où Maurice Leblanc habite dans un immeuble… blanc.
7) 17 rue du Mont-Dore est une adresse bien connue de Blaise Cendrars. C’est celle de Raymone Duchâteau, une jeune actrice qu’il rencontre en 1917 et qu’il épouse… en 1949.
8) L’hôtel Bertha, 1 rue Darcet, est le premier logement parisien de Georges Simenon, en décembre 1922/janvier 1923 (voir un peu plus haut).
9) Le restaurant Wepler se trouve toujours 14 place Clichy. Cette place n’est pas l’endroit le plus reposant de la capitale. C’est pourquoi, de Courteline à Miller, beaucoup aimaient s’attabler au Wepler.
10) Le café Guerbois n’existe plus 11 avenue de Clichy, mais un panonceau en garde le souvenir. C’était le lieu de rendez-vous favori de Manet, de ses collègues artistes et de leurs amis écrivains - dont le voisin Zola - entre 1865 et 1875. C’est dans sa salle en sous-sol que se théorise l’impressionnisme naissant. Degas et Cézanne y croisent Monet, Renoir et Pissarro. La guerre de 1870 disperse en partie cette communauté. Zola le décrit sous le nom du Café Baudequin dans L’Oeuvre.
11) Après la mort de son père, Verlaine habite avec sa mère 26 rue Lécluse entre 1865 et 70 (plaque). En juin 1869, il se rend 14 rue Nicolet chez son ami Charles de Sivry pour lui demander de collaborer à l’écriture d’une pièce de théâtre et fait la connaissance de Mathilde Mauté, sa demi-sœur, qui deviendra madame Verlaine quelques mois plus tard.
Il est fonctionnaire à l’Hôtel de Ville depuis 1865 mais passe surtout son temps à écrire des vers et à courir les cafés. Le samedi, on le trouve souvent tout près, 10 boulevard des Batignolles, chez la mère de son ami Louis-Xavier de Ricard, qui tient salon pour les amis de son fils. Verlaine y fait connaissance de Villiers de l’Isle-Adam, José Maria de Heredia, Sully Prudhomme, Catulle Mendès, François Coppée, qui commencent à former les premiers rangs des poètes parnassiens, préfèrent, tels Gautier et Mallarmé, la forme (« l’art pour l’art ») à l’élan romantique, et éliront domicile à la librairie Lemerre, 47 passage Choiseul.
12) Non loin mais trente ans plus tôt, Alfred de Vigny loue en 1838, au 1 rue Nollet, un atelier pour y recevoir Julia Battelegang et sa sœur Maria.
13) La rue Nollet est aussi la rue de Verlaine. Entre 1851, la famille débarquant tout juste de Metz, et 1862, les voilà au n°10 (plaque). Le capitaine Verlaine vient de démissionner de l’armée. Sa femme Stéphanie et lui veulent offrir à leur fils les meilleures écoles. Le quartier est déjà bien peuplé de familles de militaires à la retraite. Jusqu’à 1860, la rue Nollet - qui se nomme alors rue Saint-Louis - se trouve au-delà des fortifications (la barrière de Clichy se trouvait sur l’emplacement actuel de la place Clichy).
Entre 1853 et 1862, Paul Verlaine est interne à la pension Landry, 32 rue Chaptal, d’où il se rend bientôt quotidiennement au lycée Bonaparte (aujourd’hui Condorcet), rue Caumartin. Peu à peu, la poésie va prendre la place des études, puis les cafés. Cela ne l’empêche pas d’obtenir son baccalauréat en août 1862 et d’entamer ensuite des études de droit, en fréquentant en particulier la bibliothèque Sainte-Geneviève.
La rive droite est ainsi celle des jeunes années de Verlaine. La rive gauche - et en particulier le quartier latin que lui fait adopter Rimbaud - sera celle des années d’adulte et de misère.
14) Emile Zola habite 23 rue Truffaut (l’immeuble a été remplacé depuis) en 1868.
15) Arrivant de Saint-Benoît-sur-Loire où il s’est établi en 1921, le montmartrois Max Jacob, poète et peintre, loge en 1927-28 à l’hôtel Nollet, 55 rue Nollet. Il replonge dans le tumulte de la vie parisienne, auquel il avait réussi à échapper quelque temps, pour s’occuper à faire éditer ses poèmes et vendre ses toiles. En 1936, il s’établit définitivement à Saint-Benoît.
16) Les Verlaine s’installent 45 rue Lemercier en 1863. C’est l’époque où Paul s’accroche de moins en moins à ses études de droit et de plus en plus à l’exploration des cafés. Un ancien camarade du lycée Bonaparte le présente à Louis-Xavier de Ricard, qui dirige la Revue du progrès moral et y fait paraître cette même année le premier sonnet publié de Verlaine…
17) Le 14 rue La Condamine est l’adresse de Zola en 1869, et le 92 avenue de Clichy en 1867.
18) Nina de Caillas tient salon 82 rue des Moines après l’avoir fait 17 rue Chaptal à la fin des années 1860. Jeune, fortunée, un peu poète et musicienne, républicaine, elle reçoit le mercredi et le dimanche des poètes parnassiens et aussi d’autres artistes : Manet, Fantin-Latour, Wagner, Berlioz… Certains soirs, l’ambiance devient si folle qu’elle appelle son salon « le petit Charenton ».
Lorsque Verlaine est présent, la maîtresse de maison et ses convives s’évertuent à le distraire et à éviter qu’il consomme trop d’alcool, qui provoque chez lui des éclats de violence fulgurants.
Dans cette partie du quartier, nous croisons de jeunes auteurs qui n’ont pas encore rencontré la gloire, comme Loti, Rostand, Colette et Willy, Kessel, à côté d’autres qui viennent y finir leur vie, comme Alexandre Dumas Fils, ou presque, comme Maupassant.
1) Débutons 190 boulevard Malesherbes où (l’hôtel a disparu depuis) Juliette Adam tient salon à partir de 1887, recevant souvent Loti - édité la première fois dans la Nouvelle Revue fondée par Juliette Lambert (de son nom de jeune fille) en 1879, Alphonse Daudet, etc.
2) Le 1 rue du Printemps a été une adresse de Roger Martin du Gard.
3) Au 11 rue Ampère, Alexandre Dumas Fils vit ses derniers jours en 1895.
4) Marie Bashkirtseff meurt 30 rue Ampère en 1884, dans un hôtel disparu depuis. Elle écrit, elle est mélomane, elle peint. Et elle va mourir de tuberculose à 24 ans. Dans ses derniers mois, entre mars et mai 1884, elle correspond avec Maupassant en usant d’une fausse identité. Ils ne se rencontreront pas, mais l’écrivain finit par découvrir qui elle est. Il ira se recueillir sur sa tombe au cimetière de Passy.
5) Françoise Sagan, née en 1935, habite avant-guerre au 4e étage du 167 boulevard Malesherbes. A l’automne 1944, elle rentre au cours privée Louise de Bettignies, qui existe toujours rue Daubigny.
6) Au n° 160, Catulle Mendès - que l’on a croisé avec Verlaine - vit ses dernières années (il décède en 1909). Ce poète parnassien, mais aussi romancier, critique littéraire et auteur dramatique, produit une œuvre abondante mais oubliée depuis. Pourtant, difficile de s’intéresser à la littérature de l’époque sans tomber sur lui.
7) Paul Morand vit 9 rue Daubigny entre 1921 et 1923. Il partage alors sa vie entre soirées mondaines et succès de librairie. En 1922, Ouvert la nuit le fait connaître au grand public, suivi de… Fermé la nuit l’année suivante. Cette période est une parenthèse dans une carrière de diplomate qu’il reprendra pour son malheur à la fin des années 1930. Ses responsabilités politiques pendant l’Occupation lui vaudront un exil en Suisse.
8) Au 15 rue Daubigny a habité la chanteuse Germaine Sablon, compagne de Kessel et chez qui il se rendait régulièrement.
9) Au 14 place du Général Catroux (ex-place Malesherbes) - qui donne également 6 rue Jacques Bingen - se trouve dans les années 1930 le consulat général de Lituanie où Oscar Vladislas de Lubicz Milosz officie. Autant que diplomate, il est poète de langue française. Aujourd’hui, l’hôtel est occupé par des services de l’ambassade de Russie.
10) Son voisin plus de quarante ans auparavant était Guy de Maupassant, qui emménage 10 rue Jacques Bingen (alors rue Montchanin) en 1884 - neuf ans avant sa mort - et y demeure jusqu’à fin 1889, entre deux escapades sur la Côte d’Azur ou sur son voilier le Bel Ami, pour échapper à la vie mondaine et à la déprime parisienne (et la maladie dont il est atteint - la syphilis - gagne du terrain provoquant d’horribles migraines, des pertes de conscience, etc.).
Il habite le rez-de-chaussée de l’hôtel construit en 1880 et encore debout de nos jours. Goncourt décrit l’appartement comme un « logis de souteneur caraïbe ». Il est vrai qu’on y trouve des tentures algériennes, des boiseries peintes de bleu et de marron, des bouddhas dorés, des garnitures de porcelaine… Alors qu’il emménage ici, Maupassant appréhende la sortie de son Bel Ami, fable parisienne dont la morale pourrait être : « tous les moyens sont bons pour réussir dans la vie. » Quelques mois plus tôt, Une Vie avait créé un beau scandale par sa noirceur. Bel Ami suscite lui aussi la controverse, et est donc… un grand succès de librairie. Sa diffusion est cependant freinée un moment par un événement qui secoue les milieux littéraires pendant l’été 1885 : la mort de Victor Hugo.
Au passage, admirons tout de même l’imposante statue créée par Gustave Doré au centre de la place, qui s’appelait place des Trois Dumas au début du siècle : Dumas père siège sur ses œuvres, avec d’Artagnan à ses côtés.
11) 98 boulevard Malesherbes se trouvait l’hôtel de Louise Delabigne, dite Valtesse de la Bigne, demi-mondaine. Zola s’inspire de son hôtel dans Nana, le transplantant à l’angle de l’avenue de Villiers et de la rue Cardinet. Un autre modèle de l’hôtel de Nana est l’hôtel de la Païva, que l’on voit encore 25 avenue des Champs-Élysées, où se rendent régulièrement les frères Goncourt, Taine, Théophile Gautier, Sainte-Beuve.
12) La traversée de la place de la République Dominicaine nous permet une rapide incursion dans le VIIIe arrondissement (nous avions rencontré la barrière de Clichy dans notre promenade précédente ; nous voici ici devant les beaux restes d’un autre bâtiment ornant l’ancien mur des Fermiers généraux : la rotonde de Monceau, qui était plus un poste d’observation - avec appartement-belvédère au somment - qu’une barrière d’octroi).
Le beau Parc Monceau fourmille de souvenirs littéraires très divers : lieu de promenade de Rousseau, de Proust, décor d’histoires de Patrick Modiano, d’une nouvelle de Maupassant (Le Père), d’un Adèle-Blanc-Sec (Momies en folie de Jacques Tardi), de Au piano, de Jean Echenoz…
13) Alexandre Dumas père habite le 4e étage du 107 boulevard Malesherbes entre 1866 et 1870.
14) La rue Fortuny est, elle aussi, malgré les apparences, bien littéraire : son n°2 héberge Edmond Rostand de 1891 - il a 23 ans - à 1897 et, à son n°13, Marcel Pagnol installe ses bureaux entre 1933 et 1950. Le premier termine ici Cyrano de Bergerac ; le second y travaille aux films Angèle (1934), César (1936), Regain (1937), La Femme du boulanger (1938), La Fille du puisatier (1939),…
15) Le 43 rue de Prony est l’adresse de Joseph Kessel de 1921 à 1928. En même temps qu’il continue de voyager, il écrit durant cette période ses premiers romans, entre autres L’Equipage (1923). Il a 16 ans en 1914, lorsque sa famille s’installe à Paris. Engagé volontaire en 1916, il fait sous l’uniforme le tour du monde en 1919.
16) Dans l’immeuble du 49 rue de Prony, construit en 1880, habite Paul d’Ivoi, auteur de vingt et un Voyages excentriques dont Les Cinq sous de Lavarède.
17) La rue Edouard Detaille est la rue du rire : Alphonse Allais s’installe au n°7 en 1895 et Tristan Bernard vit au n°9 de 1893 à 1928, pour aller ensuite 22 rue Eugène Flachat.
18) En 1901, Colette et son mari Willy emménagent 93 rue de Courcelles. Le succès de la série des Claudine vient à peine de commencer.
19) A son domicile du n°105 meurt Henri Barbusse en 1935. Le romancier pacifiste a été frappé par une pneumonie lors d’un voyage à Moscou.
20) Au 98 avenue de Villiers, il n’y a plus rien à voir de l’hôtel acheté en 1862 par Alexandre Dumas Fils et qu’il habite jusqu’en 1895. La Dame aux camélias est parue en 1848, et la pièce en 1852, suivie par encore d’autres succès (on ne s’appelle pas Dumas pour rien).
21) Au 177 avenue Niel (qui n’a jamais existé) siège la pseudo agence de police privée qui emploie le triste héros de La Ronde de nuit, le second roman de Patrick Modiano. Le roman tout entier est une vaste promenade dans l’arrondissement à l’époque de l’occupation nazie. L’époque (qu’il n’a jamais connue - il est né en 1945) et le quartier lui sont chers. Ce sont ceux qu’il a déjà choisis pour son premier roman au titre à double sens : La Place de l’étoile.
22) 177 bis rue de Courcelles : c’est l’adresse de Colette et Willy à partir de 1902 (un immeuble récent occupe maintenant l’emplacement). Leur tandem fonctionne à plein pour produire des Claudine : Willy supervise, ordonne et cosigne. Colette écrit et supporte… Ils se séparent en 1906. Pour vivre, elle se fera mime et danseuse pendant plusieurs années.
Petite bibliographie
Promenade dans le quartier de la Plaine Monceau. Le promeneur des lettres (01 40 50 30 95).
[1] Qui devient le 89 en 1884.
Chers amis,
Saviez-vous qu’au 11 de la rue des Fermiers dans le 17ème, vécut et mourrut un poète liégeois et plus précisément sérésien du nom de Noël RUET. Mort en 1965, la ville de Paris lui rendait en 1967 un hommage sous forme d’apposition d’une plaque commémorative sur la maison où il mourrut. Protégé d’Anna de Noailles et de Henri de Régnier entre autres, il s’installa définitivement à Paris peu après la seconde guerre mondiale. Poète élégiaque à ses débuts, prix Verhaeren à 20 ans environs, ami de Carco, Derême, Chabaneix et des Fantaisistes à ses débuts, ami aussi d’artistes comme Dignimont, Foujita, sa poésie se fit plus profonde et plus écorchée sur sa fin. Perdu dans sa solitude et cherchant de l’aide auprès des ainés, il reçu de Montherlant des réponses comme en 1951 "…Les poèmes que vous m’envoyez sont de ceux, et de ceux seuls, qui peuvent me toucher, au milieu des poèmes-caca de mode aujourd’hui…" ou encore "…Vous êtes un poète profond, et comme vous me l’écrivez, cela se passe aujourd’hui dans un désert…".
Grand amoureux de la France, à laquelle il consacra un poème fleuve, lu par André Falcon lors de l’apposition de la plaque évoquée plus haut, il n’oublia jamais cependant sa Wallonie natale et surtout son Pays de Liège qui le lui rendit bien mal. Enfin en 2000, Seraing, sa commune natale, à l’instigation d’un admirateur de longue date, Willy Bada, relancé par un courrier de Francis Conem des "Messages de Psychodore" qui lui signalait qu’un groupe de ses admirateurs se réunissait régulièrement sur sa tombe à Saint-Ouen, lui rendait enfin l’hommage bien tardif qui lui était dû. Encore que la plaquette commémorative de cet reconnaissance s’ouvre par un article à nouveau d’un illustre français de la littérature ( c’est un signe !) Michel Décaudin.
Pardon d’avoir été un peu long peut-être, mais je suis sûr que mon grand-père, après avoir été si longtemps oublié de son pays d’origine, serait plus triste encore, même si c’est de la haut ou d’ailleurs, de se savoir oublié en plus de son pays d’adoption qu’il aimait tant.
Je suis à votre disposition si vous souhaitez plus de détails sur Noël RUET, bien que m’étant défait d’une grande partie de sa correspondance je possède encore beaucoup de documents qui pourraient intéresser quelques personnes.
Salutations poétiques.
Alain COURTOIS
Messieurs, J’ai longuement hésité avant d’écrire ce texte que vous me demandez. C’est qu’il est délicat de présenter son grand-père, surtout lorsqu’il fut votre père spirituel (vous comprendrez pourquoi à la lecture du poème en forme de testament qu’il me dédiât en 1958). C’est que j’ai d’abord connu le poète d’exception, ensuite seulement, au travers de témoignages, l’homme, avec ses faiblesses. J’ai donc choisi 2 sources extérieures, de manière qu’elles en disent assez sans faire trop long. De ces 2 sources je citerai simplement les extraits les plus significatifs placés entre "….", les textes de Noël RUET apparaissant en italique.
Ces 2 sources seront donc :
1° un texte d’André DULIERE paru en 1987 dans la revue LA VIE WALLONNE d’après une correspondance inédite. 2° la plaquette éditée par l’association LA TRACE (mouvement de mémoire initié par le courageux Willy BADA, décédé en 2002) à l’occasion du centenaire de la naissance de Noël RUET.
Je commence par le texte d’André DULIERE.
" Enfant de Seraing, Noël Ruet est probablement le plus méconnu parmi les authentiques poètes de Wallonie. Ignoré du grand public, il l’est très souvent, aussi, du public lettré. Il suffit de voir quelle place minuscule on veut bien lui accorder (quand on lui en laisse une) dans les anthologies ou histoires littéraires consacrées aux écrivains francophones de notre pays(….) En attendant qu’une histoire de nos lettres et qu’une anthologie veuillent bien remettre à sa vraie place un poète dont le lyrisme n’a d’égale que la délicatesse, nous voudrions servir sa mémoire en publiant quelques extraits de lettres que Nöël Ruet nous envoya de son "exil parisien" entre le 18 janvier 1960 et le 15 janvier 1965 (….) Le 19 avril 1960, Noël Ruet nous conte comment est née sa vocation de poète et quelle place la poésie tient dans sa vie :
Le poète a souvent l’impression de parler, de chanter dans le désert, alors que je sens que la poésie est plus que jamais nécessaire, essentielle, dans un monde livré aux machines et aux tyrannies (….) Quand vous dites que je suis habité par ms morts et que je retourne sans cesse à mon enfance, vous avez raison. C’est d’une enfance orpheline et malheureuse que ma poésie est née. La séparation de mes parents, mon passage à l’orphelinat de Seraing, la mort précoce de ma mère l’incompréhension des miens, leur vie difficile, précaire, pleine de dangers……ont marqué mon coeur secret, mon âm étouffée….. Il m’a fallu attendre d’être un homme……d’autres drames pour découvrir, libérer et exprimer tout ce qu’il y avait en moi. Et comme je suis en même temps sommbre et lumineux, faible et fort, pessimiste et fervent, lucide et illuminé, je fais tantôt une part à mes démons et tantôt une part à mes anges……………………………..
En 1947, après une maladie qui m’a conduit au bord du tombeau, je quitte Liège pour Paris. Je vis ici à la manière d’un petit retraité. Mais je sui libre, indépendant. Je fais l’oeuvre que je devais faire pour donner un sens à mon destin. Je ne m’occupe pas des chapelles, des écoles littéraires. Je suis l’ennemi des mots d’ordre, des originalités à tout prix, des modes artificielles…..
Le 19 juillet 1961, il précise à notre intention : ……Certains critiques ont, enfin, défini comme je le souhaitais, ma poésie. Mon appartenance au groupe des fantaisistes (avant guerre) a permis à beaucoup de confrères paresseux de répéter des choses devenues inexactes et, ce qui est plus grave, injustes pour un chant qui est maintenant très loin des grâces, des charmes, des musiques de ma jeunesse. C’est que la poésie est l’art le plus difficile, le plus lent qui soit……..J’enrage quand des gens parlent légèrement des poètes : Je veux dire des poètes qui ne trichent pas …….Les mots, s’ils ont le pouvoir d’émouvoir, d’enchanter, d’exalter le lecteur, c’est qu’ilssont vivants comme les êtres, c’est qu’ils vivent d’une vie sublimée……
Le 29 décembre 1962, il confesse :
J’avais envoyé à Mauriac le poème que j’ai dédié à tous les morts innocents. Dans sa réponse, il y a une phrase que je tiens à vous faire connaître : " Je trouve ce poème très beauet tout à fait digne de tout ce que je connais de vous, déjà. Mais par le seul fait que vous avez des chose à dire, que vous dépassez les mots, vous vous isolez au milieu des poètes d’aujourd’hui. Il faut accepter cette solitude".
Fin de citation en ce qui concerne le texte de DULIERE.
Dans la plaquette commémorative du centenaire de sa naissance je sors une note de Jacques IZOARD :
"En 1952, aux éditions Seghers, dans sa fameuse anthologie" Panorama critique des nouveaux poètes français", Jean ROUSSELOT consacrait un chapitre à Noël Ruet et treminait comme ceci : "Aujourd’hui, c’est vraiment un poète nouveau qui sort de la gangue et de la cangue". Et il citait un superbe poème de Ruet extrait de "Suivre sa trace". Ce poème, "Galop", en pleine pâte, saisit la vie dans tous ses états, se libère des anciens clichés, pour offrir au lecteur une vision globale de l’univers, avec sa chute d’une totale lucidité :
Une foule surgit derrière la fenêtre
Il me faudrait un siècle et je n’ai plus qu’un jour."
Voilà. Que vous dire de plus, si ce n’est que Ruet, né à Seraing-sur-Meuse le 19 décembre 1898 et mort à Paris XVIIème au 11 rue des Fermiers le 5 avril 1965 fut aussi un grand bibliophile, aimant faire illustrer ses recueils par ses amis tels Dignimont, Rassenfosse, de Lincé, Suire. Collectionneur également, il avait dans sa collection des oeuvres de Dunoyer de Segonzac, Foujita (un ami), Oguiss, Chas Laborde, Clairins, Ferrandier, etc… Il fondat également une revue littéraire à Liège "LE PRISME" qu’il dirigeat pendant quelques années.
BIBLIOGRAPHIE :
Parmis les 27 recueils parus je noterais :
LE PRINTEMPS DU POÉTE 1919 Préface d’Iwan GILKIN. 1er recueil. LE MUSICIEN DU COEUR 1924 Préface de Francis CARCO. Prix Verhaeren 1925. Réédité en 1928 avec dessins aquarellés à la main par Louis SUIRE. MUSES MON BEAU SOUCIS 1926 Préface d’Anna de Noailles. Eaux fortes de Jean Donnay. L’AZUR ET LA FLAMME Préface de Camille Mauclair en 1928. FEMMES en 1928 illustré de 10 pointes sèches originales de Rassenfosse. FRANCE en 1949. SUIVRE SA TRACE en 1952 chez Points et Contrepoints. LA BOUCLE DU TEMPS chez Seghers en 1957. LE BOUQUET DU SANG en 1959. CHANTS POUR L’AMOUR ET LA MORT (dernier recueil paru post mortem en 1966 chez DE RACHE éditeur à Bruxelles.
PRINCIPAUX HOMMAGES ET PRIX
1925 Prix Verhaeren (comité présidé par Jane Catulle Mendès) 1951 La Rose des Poètes 1963 Grand prix des Amitiés Françaises Élu en 1946 membre de l’Académie RONSARD, il reçu de cette Académie le Prix Ronsard en 1965 au 1er tour et à l’unanimité.
Parmis les hommages à lui rendus, le plus beau le fut sans doute après sa mort (bien sûr !) aux Éditions Points & Contrepoints en 1967 avec un numéro spécial où Jules ROMAINS écrit en première page de cet hommage :
" J’ai toujours eu la plus grande estime pour le poète et pour l’homme qu’était Noël Ruet. Très peu de temps avant sa mort, j’ai eu la joie comme Président des Poètes français de lui faire annoncer que nous lui donnions notre Grand Prix"
Je ne résiste pas, pour terminer, à vous retranscrire le testament spirituel qu’il m’adressait en forme de poème en 1958.
ENFANT DE MON ENFANT
Pour Alain
Pour toi déjà voici l’école, Tu vas apprendre les secrets de l’écriture, Tu vas apprivoiser les mots, signes qui volent.
Tu ne sais pas encore que tous meurent, si durent L’amour et l’amitié, le joie et la souffrance. Ton visage pareil à la rondeur des pommes Où septembre polit l’or doux et la garance, Je ne serai plus là quand il sera d’un homme.
Comment me verras-tu ? Auras-tu dans la tête Les colchiques brumeux de ma Meuse natale ? Auras-tu dans les yeux les îles du poète Et sur le front cette lumière qui s’étale Quand le coeur au dedans brûle de vérité ? Quelle sera ma part en toi ? Celle de l’hiver, de l’été, De l’ange veillant sur mon toit, De la fable aux reflets ? De la réalité ? Auras-tu les deux à la fois ? Cette ardeur jamais épuisée, Ce besoin malgré tout d’innocence et de fois, Ce don de souffrir pour un rien, De faire des pleurs un ruisseau de rosée Qui trouve et rafraîchit la main la plus usée Et redonne au corps lourd un pas aérien ?
Ou bien serai-je un inconnu Dans les courses de tes artères Quand dépouillé de chair et de sang, enfin nu Je serai l’arbre horizontal, laissé sous terre ?
Si je ne suis pas accouplé A ton destin, si je ne reste Dans tes paroles et tes gestes, Si ton combat n’est pas doublé Par ma force, si la nature Ne veut pas te montrer, comme elle le fit pour moi, Douce ou cruelle, sa figure, Selon les astres et les mois, Alors viens prendre un de mes livres. Fais-le parler, fais-moi chanter. Docile et tantôt révolté, Tu verras comme un homme éphémère délivre, Du fond obscure de sa prison, Une clarté qui va plus loin que l’horizon, Et comme il peut, par sa blessure, Tandis qu’on le croit éloigné, Revenir vivant et saigner Dans sa victoire la plus sûre.
Alors, Noël Ruet, poète méconnu ? De beaucoup c’est sûr. Oublié, c’est certain.
J’oubliais. Il repose au cimetière de Saint-Ouen ou ses amis se recueillent paraît-il chaque année.
J’espère que ma contribution vous conviendra. A votre disposition pour renseignements complémentaires dans la mesure de mes connaissances et moyens. Il se fait tard, je n’ai pas envie de me relire, excuser les éventuelles fautes d’ortographe ou de frappe. Merci
Cordialement.
une bouteille à la mer….. qui pourrait me mettre en rapport avec alain le petit fils du poete noel ruet ? /je fais actuellement des recherches généalogiques concernant ma famille et celui-ci en fait partie.
merci d’avance.
Je suis le petit fils de Noël Ruet
Vous pouvez me contacter à alaincourtois@tvcablenet.be
A bientôt ?
un poème sur mon blog de Noël Ruet "accalmie"
bien à vous frenchpeterpan