Naissance du roman policier à Paris, années 1860

Le jeudi 14 août 2003.

Gaboriau est l’inventeur du roman policier en 1865 avec son premier succès, L’Affaire Lerouge. Avant lui, il y a bien sûr eu d’autres romans mettant en scène un meurtre et un meurtrier face aux forces de l’ordre. Mais nul avant lui n’a, dans un roman, accompagné le cheminement de l’enquête policière, c’est-à-dire remonté le temps depuis la découverte du crime jusqu’à l’acte, en passant par l’histoire de la victime et de son meurtrier. Certains romans s’en approchent. Le Curé de village et Une Ténébreuse affaire de Balzac (ou encore sa nouvelle Maître Cornélius), ou d’autres nés depuis les années 1830 du succès des romans populaires distillés en feuilletons dans la presse quotidienne, exploitent le procédé de la remontée dans le temps pour élucider un mystère ou même un crime. Mais jamais avec autant de méthode policière que dans L’Affaire Lerouge. Seul a auparavant procédé ainsi Edgar Poe dans ses trois nouvelles… parisiennes : Double assassinat dans la rue Morgue (1841), Le Mystère Marie Roget (1850) et La Lettre volée (1845).
Suivons les traces dans la capitale de ces premiers policiers…

Débutons notre promenade quai du Marché-Neuf, où se trouve la morgue entre 1804 et le milieu des années 1860 (avant de s’installer dans le square de l’Ile-de-France derrière Notre-Dame, jusqu’à 1914, puis à son emplacement actuel, quai de la Rapée près du pont d’Austerlitz). C’est ici, quai du Marché-neuf, qu’elle sert de décor à la scène presque finale de The Woman in white (1860) de Wilkie Collins, spécialiste de la sensation novel - et, peut-être, précurseur avec Gaboriau du roman policier.

Notons que les rues Sainte-Anne et de Jérusalem, donnant accès à la Préfecture de police dans la première moitié du XIXe siècle, débouchaient dans l’actuel quai des Orfèvres à hauteur de ses numéros 12-14 et 24-26. Jusqu’à son incendie pendant la Commune, la préfecture occupe l’ancien hôtel des Présidents du Parlement, à la hauteur de l’actuel n°52 du quai des Orfèvres.
Le chevalier Dupin, héros de Poe, (tout comme Sherlock Holmes plus tard) travaille souvent à la demande du Préfet de police, lorsque l’enquête officielle piétine.

La Préfecture de police, créée par Napoléon en 1800 et installée depuis 1871 à gauche de l’Hôtel-Dieu, voit naître la police criminelle à l’initiative de Vidocq vers 1810 et, dans les années 1880, la police scientifique avec Bertillon (Legrand La Saulle, médecin-légiste-aliéniste, fondateur de la société de médecine légale en 1874, habitait à quelques dizaines de mètres, 29 quai Saint-Michel).

Edgar Poe situe rue Pavée-Saint-André, c’est-à-dire rue Séguier, Le mystère de Marie Roget, qui intervient dans la fiction environ deux ans après l’assassinat de la rue Morgue (qui, elle, n’existe que sur le papier dans le quartier de la rue Saint-Roch). Poe n’est jamais venu à Paris. Pour sa topographie parisienne un peu fantaisiste, il s’inspire de Notre-Dame de Paris et d’un autre ouvrage, la Galerie populaire des contemporains, de Louis Léonard de Loménie. Et Marie Roget est dans la réalité Mary Cecilia Rogers, une jeune femme assassinée dans des conditions similaires à New-York et dont le crime n’est pas résolu à l’heure où Poe écrit sa nouvelle. La demeure du chevalier Dupin, l’enquêteur de Poe, est située 33 rue Dunot dans le faubourg Saint-Germain (rue qui n’existe pas plus que la rue Morgue).

Près de la place Maubert, 1 bis rue des Carmes se trouve le musée de la Préfecture de police (01 44 41 52 50), qui est gratuit et vaut vraiment le détour. On y découvre les méthodes de Bertillon, celles des Fieschi, Petiot, Landru, etc., une recette de poison de la marquise de Brinvilliers, et le registre de la morgue qui accueille le 26 janvier 1855, quai du Marché-neuf, le corps sans vie d’un dénommé Gérard de Nerval.

Couty de la Pommeraie, médecin exécuté le 9 juin 1864, demeurait 5 rue des Saints-Pères lorsqu’il décida de ne plus respecter le serment d’Esculape et d’empoisonner maîtresse et belle-mère à la digitaline. Ses recettes de poison sont connues des enquêteurs de Gaboriau.

Avançons dans le temps et remontons jusqu’à l’hôtel du Louvre, place André Malraux. Une plaque dans l’entrée de l’hôtel nous confirme qu’ici descend fin 1895 l’espion Oberstein (sous la plume de Conan Doyle dans Les plans du Bruce Partington), après avoir dérobé les plans secrets d’un sous-marin et avant de se faire arrêter à Londres grâce à Sherlock Holmes. A l’époque, l’hôtel s’étend plus à l’est, à l’emplacement du Louvre des antiquaires d’aujourd’hui.

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L’Hôtel du Louvre, place André Malraux face à la Comédie française.

Le docteur Watson n’a jamais précisé si Sherlock Holmes avait séjourné à Paris. Par contre, on sait que ses enquêtes et ses démêlées avec Moriarty l’ont mené à Dieppe, Strasbourg, Lyon, Nîmes et Montpellier (sa route a dû alors passer par la capitale). Cependant, il est probable qu’il se soit trouvé à Paris à l’automne 1894 pour enquêter sur des attentats anarchistes et en 1895 pour recevoir la Légion d’honneur, la seule distinction honorifique qu’il ait jamais acceptée ! Notons enfin que le détective maîtrise parfaitement le français, et qu’au moins une de ses fameuses pipes est de bruyère, d’origine jurassienne.

Continuons de remonter jusqu’au 13 galerie Vivienne, où habite Vidocq en 1840. Vidocq est à la fois auteur (de ses Mémoires, parues en 1828) et personnage de roman. On le croise par exemple dans Ferragus de Balzac et dans L’Homme au fiacre,

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13 galerie Vivienne

de Georges J. Arnaud, qui ressuscite le paris balzacien dans ses romans dont les héros sont les frères Roquebère, avocats/enquêteurs basés quelque part rue Vivienne.
En 1833, il démissionne de la police pour fonder la première agence française de détectives privés. Ses succès font rapidement de l’ombre à la police officielle.

Quant à Emile Gaboriau, il décède en 1873 39 rue Notre-Dame-de-Lorette. La maison du père Tabaret, son premier héros, se trouve "à moins de quatre minutes" de la gare Saint-Lazare.

A lire :
- Mémoires de Canler, ancien chef du service de Sûreté (1797-1865). Editions Mercure de France, collection Le Temps retrouvé, 815 pages, 2006, 11 euros.



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