« […] la formule scientifique de Claude Bernard n’est autre que la formule des écrivains naturalistes. […] le jour où nous prendrons un chef, nous choisirons plutôt un savant comme Claude Bernard. »
Émile Zola. Le Roman expérimental, 1879.
« Il ne suffit pas de dire : "Je me suis trompé" ; il faut dire comment on s’est trompé. »
Claude Bernard.
L’article Le Roman expérimental paraît en septembre 1879 avec éclat dans la revue russe Le Messager de l’Europe puis dans le quotidien Le Voltaire. Zola y présente un développement nouveau de sa doctrine, en même temps que Nana est publiée en feuilletons dans la presse.
Il a déjà écrit sur le naturalisme à plusieurs reprises depuis 1865 - année de parution de Germinie Lacerteux des Goncourt et de Introduction à l’étude de la médecine expérimentale de Claude Bernard -, mais, en 1879, son ami Henry Céard prête à Zola ce dernier ouvrage.
L’écrivain, alors sous le feu des attaques dont sont l’objet L’Assommoir (1879) et Nana (1880), tente d’appliquer les enseignements du médecin-biologiste à sa théorie romanesque, faisant du roman naturaliste un roman "expérimental". La tentative se révèlera difficile.
Zola fait du romancier non plus seulement un observateur de la nature humaine, mais aussi un expérimentateur qui énonce un problème, pose une hypothèse, place ses personnages dans un cadre choisi, observe leurs réactions au "déterminisme des phénomènes mis à l’étude" et débouche - espère t-on - sur une découverte psychologique ou sociale.
Cette théorie du roman expérimental est aussitôt combattue par les uns qui y voient la négation de la créativité de l’écrivain (alors que Zola attribue à son intelligence le même rôle que Claude Bernard attribue à celle du savant) et les autres, qui estiment que tout cela est bien artificiel dans la mesure où l’auteur tire toutes les ficelles, du comportement des personnages aux circonstances du récit.
Finalement, Zola ne s’acharnera pas becs et ongles sur sa théorie expérimentale : le romancier naturaliste peut aussi se contenter d’être un bon observateur de la nature humaine.
Revenons à Claude Bernard. Ce médecin désirait écrire, ce qu’il finit par faire.
Il naît à Saint-Julien-en-Beaujolais en 1813 d’un père vigneron, puis étudie à partir de 1827 aux collèges de Villefranche-sur-Saône et de Thoissey (le collège est alors situé 8 place du collège). L’enseignement qu’il reçoit est essentiellement littéraire, car les sciences ne figurent pas encore au programme.
Afin de gagner sa vie, il se fait humble préparateur chez le pharmacien Millet à Vaise, dans les faubourgs de Lyon.
Il compose un vaudeville et une tragédie qu’il propose à Paris. Un critique lui conseille de poursuivre dans la voie… de la pharmacie. Il entreprend ses études de médecine en 1834, assiste bientôt aux cours du célèbre physiologiste François Magendie et devient en 1841 son préparateur au Collège de France.
Il est docteur en médecine en 1843 mais échoue à l’agrégation l’année suivante. Il ouvre un laboratoire en 1845 rue Saint-Jacques, mais échoue encore par manque d’argent. Magendie lui redonne confiance en 1847 en le nommant suppléant dans son laboratoire de l’Hôtel-Dieu. Claude Bernard commence à publier sur le pancréas, sur le foie qui secrète du glucose (ce qui permettra la compréhension du diabète), le nerf sympathique… Cela lui ouvre une à une les portes des plus grands lieux du savoir et de l’enseignement [1] : l’Académie des Sciences en 1854, la Sorbonne, le Collège de France où il succède à Magendie décédé en 1855, le Muséum d’Histoire Naturelle et l’Académie Française en 1868.
C’est en 1865 avec son Introduction à l’étude de la médecine expérimentale qu’il devient le père de la physiologie moderne en fixant les principes de la médecine expérimentale à partir du schéma "observation, hypothèse, confirmation/infirmation". Il va ainsi à l’encontre des principes de Magendie, qui prône l’observation mais sans trop d’interprétation. Bernard ouvre la voie aux laboratoires de physiologie, dont l’activité sera de réaliser de réelles expérimentations sur le vivant.
La guerre de 1870 le ramène à Saint-Julien. Il regagne la capitale en juin 1871, après la Commune, pour reprendre des cours qu’il continue à donner au Collège de France jusqu’à sa mort en 1878 des suites d’une maladie des reins. Bien que gloire scientifique du Second Empire, il souffrait en effet depuis longtemps de l’insalubrité de son laboratoire au Collège de France, situé à l’angle de la rue Saint Jacques et de la rue des Écoles (sa dernière demeure est le 40 rue des Écoles).
À visiter
La maison natale, devenue Musée Claude Bernard, 69640 St-Julien-en-Beaujolais (tél. 04.74.67.51.44). C’est en réalité la maison de maître dont dépendait la métairie où Claude Bernard est né, maison qu’il acheta en 1861. Il se retire temporairement ici en 1865, souffrant d’atteintes de choléra, pour écrire Introduction à l’étude de la médecine expérimentale.
Petite bibliographie
Le Roman naturaliste. Émile Zola. Livre de poche n°14771.
Introduction à l’étude de la médecine expérimentale. Claude Bernard. Garnier Flammarion n°85.
Guide des maisons d’hommes célèbres. Georges Poisson. Editions Horay.
[1] Fidèle à sa théorie expérimentale et comme Magendie, il ne prépare jamais ses cours, expérimentant en direct devant ses élèves.