Brouillard au pont de Tolbiac

Une enquête de Nestor Burma, par Léo Malet.
Le mardi 26 septembre 2006.

Cinquante ans après, le quartier du pont de Tolbiac a beaucoup changé, et ce n’est pas fini ! Le pont de Tolbiac, « le pont métallique qui enjambe les voies ferrées de Paris-Austerlitz [1] » (chap. VIII) n’existe plus aujourd’hui, mais de nombreux autres décors du roman sont encore debout.

Plusieurs intrigues se croisent dans l’histoire : l’enquête de l’inspecteur Balin, qui commence en 1936 et s’achève en 1955 avec son assassinat ; les événements rattachés à la vie de Burma et d’autres acteurs du récit au foyer végétalien en 1927, et l’enquête en cours (1955). Le lien entre ces trois époques est assuré par leur cadre : le XIIIe arrondissement : « Ne vous cassez donc pas la tête. Le seul rapport, c’est que tout ça se passe dans le même arrondissement. C’est une question d’unité de lieu. Comme au théâtre » (chap. XI). Et ce quartier n’est pas très apprécié par le détective, qui va voir son passé ressurgir trente ans plus tard : « C’est un sale quartier, un foutu coin. […] Ca pue trop la misère, la merde et le malheur » (chap. V).

Malet prend le soin de situer précisément les décors du récit (il a lui-même vécu au foyer végétalien du 182 rue de Tolbiac, au milieu des années vingt). Une manière sans doute de dire qu’il existe un déterminisme des lieux, et qu’il est difficile dans ces conditions d’échapper à son destin…

JPEG - 52.5 ko
182 rue de Tolbiac. Ici se trouvait le foyer végétalien.

Voici l’histoire.
Nestor Burma est appelé à l’aide par un vieil ami, Axel Benoît, qui, après une agression, a échoué à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Dans le métro qui le mène à l’hôpital, Burma réalise qu’il est suivi par une jeune gitane, Bélita (qui fume des gitanes, bien sûr). Elle est l’amie de Benoît, qui est en réalité Lenantais, un anarchiste que Burma avait connu au foyer végétalien.

Burma a le temps de faire connaissance avec Bélita, avant de constater, arrivé à la Salpêtrière, que Lenantais vient de décéder. L’y attendent l’inspecteur Favre et le commissaire Florimond Faroux, du 36 quai des Orfèvres.

JPEG - 29.7 ko
Rue des Hautes-formes

En se rendant Passage des Hautes-formes (aujourd’hui la rue des Hautes-formes, entre la rue Nationale et la rue Baudricourt) où Lenantais tenait une boutique de cordonnerie et de fripes, Burma découvre la baraque voisine où vit Bélita et la tire des griffes de Dolorès, une autre gitane enragée de ne plus pouvoir tirer de revenus des relations entre Bélita et Lenantais. Burma et Bélita tombent dans les bras l’un de l’autre. Ils vont suivre ensemble la piste des meurtriers de Lenantais.

C’est dans la baraque de Bélita que l’inspecteur à la retraite Norbert Ballin sera bientôt retrouvé assassiné. Ayant appris par les journaux la mort de Lenantais, il avait voulu en savoir plus, étant toujours sur la piste du vol des Frigos (voir ci-dessous) vingt ans après. Ne souhaitant pas que le cadavre soit découvert chez Lenantais tout en voulant que la police puisse l’identifier, Burma et Bélita le transportent en voiture vers la Seine. Mais, à la faveur d’un virage trop rapide, le corps leur échappe sur le pont de Tolbiac à la hauteur de la rue du Chevaleret ! Quand on vous parlait du destin des lieux…

JPEG - 52.4 ko
L’Armée du Salut

Leur enquête les mène à l’Armée du Salut, dont les bâtiments colorés d’aujourd’hui semblent n’avoir pas beaucoup changé depuis les années cinquante. Lenantais vendait parfois des meubles rafistolés aux « salutistes ». C’est là qu’il a rencontré un jour Lacorre, un ancien du foyer végétalien travaillant pour l’Armée du Salut après un séjour en prison. Lacorre, Lenantais, Charles Baurénot et Deslandes, tous anciens du foyer végétalien, ont participé en 1936 à un coup monté avec Daniel, l’employé des Frigos municipaux disparu un beau jour près du pont de Tolbiac avec la caisse de la Compagnie.

JPEG - 38.4 ko
L’Armée du Salut, 12 rue Cantagrel.

Ayant retrouvé Lenantais après toutes ces années, Lacorre l’a agressé à coup de couteaux, rue Watt, pour obtenir de lui des renseignements sur Baurénot et Deslandes, sans doute afin de les faire chanter. C’est également Lacorre qui a tué Daniel, contre l’avis de Lenantais.

JPEG - 28.5 ko
La rue Watt.

Grâce au docteur Coudérat, que Lenantais connaissait à la Salpêtrière (et qui habite « boulevard Arago, à égale distance des sinistres murailles de la Santé d’une part, et de celles de l’hôpital Broca de l’autre »), Burma retrouve Baurénot, devenu patron d’une entreprise de menuiserie située rue Berbier-du-Mets, face à la manufacture des Gobelins.
Ce dernier finira par avoir la peau de Lacorre dans la maison de Daniel, rue Brunesseau à Ivry. Mais Lacorre a laissé dans sa chambre, à l’Armée du Salut, un testament à l’attention de la police…

Au coin de la rue de Tolbiac et de la rue du Chevaleret, Bélita est assassinée par Salvador alors qu’elle se jette dans les bras de Burma. Il dépose son corps dans un café tout proche (que l’on peut identifier comme étant le Bistrot du viaduc, 12 rue de Tolbiac). Comme de nombreuses héroïnes des Nestor Burma, sa fin est brutale, et son destin était écrit d’avance. « Dans chaque roman, Burma est susceptible de tomber amoureux de quelqu’un, ce qui lui est impossible si la femme du bouquin précédent est encore vivante. Il faut donc qu’elle meure » [2].

Si l’on passe sur l’argot aujourd’hui un peu désuet de Burma, on peut être touché par l’humour et le ton désenchanté du personnage, qui revoit tout à coup son passé d’anarchiste tout en constatant que tous ses amis ont depuis lâché la cause, sauf Lenantais, resté fidèle à ses convictions comme à l’amitié qu’il portait à Burma et à Bélita.


Merci à l’association Tramway qui a organisé il y a quelques mois une balade "Plus de brouillard au pont de Tolbiac".

Voir aussi http://lebrunf9.free.fr/parisenbd/tardi/tolbiac/italie.html

[1] Et non pas le pont sur la Seine.

[2] Léo Malet, La Vache enragée.



Forum de l'article

Depuis l'Ile Grande (Joseph Conrad)