Balade littéraire avec Proust à Paris (5)

De l’île Saint-Louis au quai d’Orsay
Le mardi 14 août 2007.

Départ : métro Pont-Marie ou Maubert-Mutualité.
Arrivée : métro-RER Invalides.
Durée de la balade : 2 heures.

Le lieu le plus important du faubourg Saint-Germain ne se trouve pas dans le faubourg Saint-Germain ! C’est l’hôtel du duc et de la duchesse de Guermantes (et de la marquise de Villeparisis, tante du duc). Il n’est jamais localisé précisément dans la Recherche, mais il y a de fortes chances pour que, comme la comtesse de Greffulhe, Geneviève Straus et la comtesse de Chevigné qui sont le modèle de la duchesse de Guermantes et résident rive droite, l’hôtel de Guermantes se situe dans le faubourg Saint-Honoré (qu’on appelait ainsi entre la porte Saint-Honoré, à hauteur de la rue Royale, et Saint-Philippe du Roule ; plus à l’ouest, c’était le faubourg du Roule jusqu’à la barrière du Roule – au niveau de la place des Ternes).

Deux raisons à cette exception. Tout d’abord, comme l’écrit Balzac dans La Duchesse de Langeais, « Ce que l’on nomme en France le faubourg Saint-Germain n’est ni un quartier, ni une secte, ni une institution, ni rien qui se puisse nettement exprimer. La Place Royale, le faubourg Saint-Honoré, la Chaussée d’Antin possèdent également des hôtels où se respire l’air du faubourg Saint-Germain ». Ensuite, la duchesse est une aristocrate à part. Elle est l’élégance même, mêlée à une indépendance d’esprit qui détonne dans le milieu (elle finira d’ailleurs sur la touche, son mari la trompant avec Odette). Admirée et crainte, habile à railler, elle sait aussi accueillir l’amitié de Swann, et, dans son propre hôtel, la famille du narrateur, alors que ce ne sont « que » des roturiers.

Proust et le narrateur de la Recherche, un pied en-dedans et un pied au-dehors du faubourg Saint-Germain, occupent la place idéale qui leur permet d’observer et de faire œuvre d’art. Et art et aristocratie ne semblent pas faire très bon ménage. Proust ne se fait guère d’illusions sur la réception de son œuvre par les nobles familles du faubourg. Il arrivera ce qu’il avait prévu : soit elles n’en saisiront pas le sens, soit celles et ceux qui s’y reconnaissent sous les traits de tel ou telle lui en garderont une rancune tenace.

1) Avant son mariage avec Odette, Swann habite un hôtel quai d’Orléans, sur l’Ile Saint-Louis, ce qui n’est pas au goût d’Odette ni de ses amis du faubourg Saint-Germain.

2) Jusqu’à sa retraite en 1899, Adrien Proust est médecin à l’Hôtel Dieu (1 place du Parvis de Notre-Dame), que les grands travaux haussmanniens viennent de déplacer d’un côté à l’autre du parvis.

3) Ludovic Halévy, père de Daniel, ami lycéen de Marcel, décède 26 place Dauphine en 1908. Daniel lui-même vit ici et y meurt en 1962.

4) Le restaurant Lapérouse est un décor de Du côté de chez Swann et existe encore aujourd’hui 51 quai des Grands-Augustins.

5) Le salon des Verdurin se tient dans un immeuble du quai Conti. Les Verdurin, bourgeois, riches et snobs, ont cependant l’esprit ouvert. Ils sont même dreyfusards et invitent Clemenceau, Picquart, Reinach, Labori (cela ne facilitera pas l’ascension sociale de Mme Verdurin) ! Ils aiment brasser les milieux et reçoivent aussi bien un aristocrate comme M. de Charlus (qui y rencontre son amant Morel) qu’un bourgeois comme Swann ou une « cocotte » comme Odette. Chez eux, Swann rencontre Odette qui se mêle dans son esprit à la sonate de Vinteuil jouée ici par un pianiste (et composée, dans l’esprit de Proust, d’un mélange de morceaux de Saint-Saëns, César Franck, Fauré, Schubert et Wagner).
C’est ici également qu’apparaît le comte de Forcheville, rival de Swann, et que la jalousie de Swann naît et grandit.
Les artistes ne sont pas en reste, du musicien Vinteuil (inspiré de César Franck), à l’écrivain Bergotte et au peintre impressionniste Elstir, mélange de Claude Monet et de Gustave Moreau.
C’est également chez les Verdurin que le narrateur rencontre Albertine, une des « jeunes filles en fleurs » de la plage de Balbec. Bref, c’est le salon où les amours naissent.

6) Proust est assistant bibliothécaire non rémunéré à la bibliothèque Mazarine (place de l’Institut) à partir de juin 1895. Son activité principale consiste à effectuer des demandes de congé. En 1896, il ne s’y montre qu’une fois, pour offrir Les Plaisirs et les jours à ses collègues ! La bibliothèque obtient qu’il démissionne en 1900.

7) 17 quai Malaquais se trouve encore l’hôtel Chimay, que M. de Charlus prétend avoir habité et qu’occupe l’école des Beaux-Arts.

8) Robert Proust habite 136 boulevard Saint-Germain.

9) Le siège des éditions de la Nouvelle Revue Française se trouve 35 et 37 rue Madame lorsque, pendant la Première guerre, elles reprennent la publication de la Recherche commencée à compte d’auteur chez Grasset.
Fin 1912-début 1913, André Gide pour la NRF ainsi que les éditeurs Fasquelle et Ollendorf ont en effet refusé le manuscrit de Du côté de chez Swann. Proust a alors décidé de financer lui-même une édition de son premier roman chez Grasset. Revenant sur l’erreur de 1912 – Gide s’excusant d’avoir mal lu le manuscrit, trompé par la réputation d’écrivain mondain de son auteur –, la NRF fait ensuite paraître des extraits de la suite de la Recherche. Ses éditions reprennent à partir de 1919 la publication de l’ensemble de l’œuvre, profitant de la fermeture pendant la guerre des éditions Grasset qui, par ailleurs, ont généreusement accepté de leur céder Du côté de chez Swann. Proust obtient de Gaston Gallimard des droits d’auteurs faramineux : 18 % sur les trois mille premiers exemplaires vendus, 21 % sur les suivants !

10) Le pâtissier Blanche de la Recherche tient boutique 196 boulevard Saint-Germain.

11) Toujours dans le roman, les Cottard demeurent 43 rue du Bac.

12) Le 240 boulevard Saint-Germain est, avec le 2 rue Rabelais, une adresse du Jockey Club que fréquentent les personnages de la Recherche.

13) Robert de Montesquiou naît à l’hôtel de Béthune, 60 rue de Varenne. Nous sommes ici dans le faubourg Saint-Germain au sens strict : le quartier aristocratique conservateur et renfermé que l’on peut délimiter, entre 1890 et 1910, par les rues de Lille, de Constantine, de Babylone et Bonaparte. Dans la Recherche, le prince de Guermantes habite également rue de Varenne, d’autres Guermantes et les Chaussepierre rue de la Chaise, un cousin de la duchesse de Guermantes rue Vaneau, un Courvoisier rue de Grenelle, etc.

14) Proust fréquente au milieu des années 1890 les « jeudis » d’Alphonse Daudet, 31 rue de Bellechasse. Il participe en particulier au banquet de 300 personnes organisé le 1er mars 1894 en l’honneur d’Edmond de Goncourt. Lucien, fils d’Alphonse et frère de Léon, est un compagnon privilégié de Proust, sans que leur relation soit aussi intime qu’avec Reynaldo Hahn.

15) Le bel hôtel construit en 1863 pour les Montesquiou-Ferensac, demeure de Robert de Montesquiou, s’élève toujours au 41 quai d’Orsay, face à la Seine. C’est aujourd’hui le siège de l’association des maires de France. On y voit encore un M orner la plupart des fenêtres.



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